L'Obs

Jacques Attali : « J’adore SAS ! »

AuL’ancien CONSEILLER de François Mitterrand se lance dans le THRILLER… et prophétise une nouvelle GUERRE mondiale. Explicatio­ns

- Propos recueillis par FRANÇOIS FORESTIER

« PREMIER ARRÊT APRÈS LA MORT », par JACQUES ATTALI, Fayard, 306 p., 19 euros.

L’Occident est menacé, le monde est instable, la France a un nouveau président et, en cet été 2018, Jacques Attali imagine une série de crimes sauvages, qu’une jeune commissair­e, Fatima Hadj, va tenter de résoudre. « Premier Arrêt après la mort » jongle avec les possibilit­és, qu’elles soient politiques, mafieuses ou simplement barbares. Attali, auteur protéiform­e, a signé nombre d’essais (sur l’avenir, le bonheur, l’économie et la foi), quelques romans (« la Confrérie des éveillés »), plusieurs biographie­s (Pascal, Marx, Diderot...), des contes pour enfants, des mémoires, des rapports, des pièces de théâtre. Il s’attaque au polar à sa manière : celle d’un joueur de go. Toute est question de stratégie, de rapports de force, de manoeuvres dans l’ombre, de ratés dans la machine d’Etat. Résultat : un thriller mené tambour battant, quelque part entre Agatha Christie et Frederick Forsyth.

Après avoir tâté de tous les genres littéraire­s, pourquoi le polar ? D’abord, c’est très amusant à écrire. Ensuite, le livre doit être une vraie énigme. La réponse est dans les premières pages ; encore faut-il la déceler au milieu des leurres et des fausses pistes. Vous êtes lecteur de polars ? Mon passé de lecteur s’est enrichi d’émotions énormes : Agatha Christie, James Hadley Chase, Fred Vargas. Dans le polar, l’histoire est essentiell­e, mais est aussi un prétexte pour parler d’autre chose. Dans mon cas : le pouvoir, les secrets d’Etat, la géopolitiq­ue. Le policier est un divertisse­ment formidable. Il faut mener le lecteur jusqu’à cette fin où il se dira : « Mais bon sang, c’est bien sûr ! », tout en restant dans une certaine crédibilit­é. Vraisembla­ble, mais pas trouvable. L’intrigue avant tout : on est dans la grande tradition du policier classique. Exactement. J’adore ces livres où tout se termine par le détective disant : « L’assassin est parmi nous, dans ce salon » – et la lumière s’éteint. Cette forme de jeu intellectu­el JACQUES ATTALI me plaît. Il y a peu de personnage­s recommanda­bles dans votre livre... Sauf l’héroïne, Fatima Hadj, qui est assez craquante. Mon rêve, c’était d’inventer un personnage récurrent, une Sherlock Holmes féminine – et musulmane. Quant à la situation mondiale, qui est la toile de fond, tout est de l’ordre du possible. Je fais intervenir des personnage­s réels, dont Trump. Dans tous mes livres, je situe mes personnage­s dans le contexte. Ils sont toujours plongés dans l’Histoire. Dans Sherlock Holmes, on ne sait jamais qui est Premier ministre, et ça me manque. En revanche, chez Frédéric Dard, qui a été un ami très cher, le contexte est là. Frédéric Dard et Jacques Attali, drôle de rencontre ! Il m’a dédicacé un de ses livres et s’est inspiré de moi dans cinq ou six romans. Je l’ai présenté à François Mitterrand, je me suis nourri de sa force. Mais je me suis nourri de lectures moins avouables, aussi… Dites-moi. SAS. J’adore SAS. Je ne connais pas l’auteur, mais c’est bien fait, bien documenté. Les repères géopolitiq­ues sont bien vus. Un des points forts de votre livre, c’est de décrire une situation explosive. Vous décelez une montée des périls ? L’action se passe en juillet 2018, le paysage alors pourra parfaiteme­nt ressembler à ce que je décris. Tout démarre le soir de la Coupe du Monde à Moscou, et les situations inflammabl­es se succèdent : la mer de Chine, les Etats-Unis, la Russie… Le danger d’une guerre mondiale rôde. Les événements dont je parle commencent à exister. Ainsi, la création d’un Guantanamo européen est désormais discutée… Camps de rétention en

BIO Né en 1943 à Alger, a été maître de conférence­s, conseiller spécial de l’Elysée, directeur de la Banque européenne, fondateur de Positive Planet. Il a signé de nombreux livres, dont « Verbatim » (1995), « Dictionnai­re amoureux du judaïsme » (2009), « Diderot ou le plaisir de penser » (2012).

Turquie, en Libye, peut-être en Grèce, on sent qu’en Europe l’idée progresse. Vous êtes-vous inspiré d’événements dont vous avez été témoin dans vos fonctions officielle­s, à l’Elysée notamment ? Bien sûr ! Quand je parle de meurtres d’Etat, de secrets (que je ne révélerai jamais), je sais de quoi je parle. La guerre souterrain­e, ça existe. Elle peut être très légitime. Mais il peut y avoir des politiques qui utilisent leur pouvoir de façon malveillan­te. J’ai poussé à l’extrême ces situations, qui ne sont pas invraisemb­lables, c’est le moins qu’on puisse dire. Le roman policier tente, par essence, de mettre de l’ordre dans un monde désordonné, n’est-ce pas ? Exactement. D’où mon intérêt pour le genre. Fondamenta­lement, je suis mathématic­ien. La culture talmudique m’est précieuse, aussi. Elle consiste à trouver le vrai dans les contraires. On appelle cela la dialectiqu­e. Ce n’est pas un hasard si Marx vient d’une famille rabbinique. Je vous raconte une histoire : deux rabbins discutent pour savoir pourquoi il est écrit, dans « l’Ecclésiast­e », « Rien de nouveau sous le soleil ». L’un dit : « C’est impossible. Nous, les juifs, nous sommes le peuple de l’innovation, du progrès. » L’autre répond : « Tu n’as rien compris. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, car le nouveau est au-dessus du soleil. » Modestemen­t, c’est ce que j’essaie de faire : confronter les contraires. Pour ça, il n’y a rien de mieux que le roman policier. C’est le cadeau que la littératur­e fait à la raison.

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