L'Obs

On en parle Des jeux en bars

Nouveau syndrome nostalgiqu­e ? Des bars à jeux de société fleurissen­t partout en France, illustrant la force d’un marché ludique négligé

- Par BORIS MANENTI

Un dimanche soir, trois amis se promènent, dans le calme du Marais. Ils tombent sur un bar bondé, Le Nid. Ils entrent et se retrouvent face à une dizaine de tablées où des trentenair­es jouent à des jeux de société, tout en sirotant de la bière. La surprise passée, ils s’installent, amusés par ce brouhaha d’où s’élèvent des éclats de rire. Dans ce lieu aux couleurs claires et tables en bois façon Apple Store, l’ambiance est bon enfant. A droite, deux geeks de 35 ans enchaînent les pintes, tout en déplaçant pions et cartes sur un plateau complexe. A gauche, un couple, 25 ans, ne se parle pas et s’affronte, cartes en main, dans un climat limite tendu. Un groupe de huit potes, BCBG, s’esclaffe en se braquant avec des pistolets en mousse. Avec la commande arrive la question fatidique : « Alors, à quoi on joue? » Difficile de choisir devant ces immenses bibliothèq­ues qui comptent autour de 800 références. Le gérant, Nils Berenguer, 28 ans, recommande « Mysterium », sorte de « Cluedo » du xxie siècle. On fait deux parties, avant d’en tester un autre, « Paris 1800 », où l’on s’affronte sur le thème de l’urbanisati­on de la capitale. Le temps file, les bières et le saucisson aussi…

Dans toute la France, les bars à jeux de société se multiplien­t. A Paris, on peut citer le Meisia, à République, ou le Dernier Bar avant la Fin du Monde, aux Halles; L’Heure du Jeu, à Rennes, le Jeux Barjo, à Bordeaux, ou le Moi J’m’en fous Je triche, à Lyon. Le Nid (« cocon ludique », d’après l’enseigne) est le dernier-né. Ouvert à la mi-2014, il n’a mis que trois mois à devenir viable, selon son patron; 30000 clients plus tard, Nils Berenguer a ouvert en février une annexe à 40 mètres, « pour caser tous ceux qu[’il] étai[t] obligé de refouler ».

Tous les soirs de la semaine, les trentenair­es bobos s’y retrouvent. Les clients débarquent dès 18 heures, après le boulot, et s’installent pour la soirée. Damien, 32 ans, attablé avec quatre autres personnes, vient pour la première fois : « On a déjà fait trois “escape games”, mais on voulait changer pour quelque chose de convivial et facile à organiser. » Sa collègue, Gaëlle, 24 ans, abonde : « Ici, ça ne fait pas grotte de geeks. » A la table d’à côté, trois amis de 32 ans en sont à leur troisième fois. « On vient après le boulot, pour jouer et boire des bières pendant trois ou quatre heures », explique Tanguy.

Dans ce cadre sobre remplis de hipsters, on relève la quasi-absence de portables. Au Nid, pas de wi-fi, un mauvais réseau, et le seul écran large est celui de la caisse enregistre­use. « Les gens viennent pour plonger dans un univers, pas pour vivre par procuratio­n sur Instagram », clame Nils Berenguer. A l’heure où l’on s’immerge de plus en plus profondéme­nt dans des univers virtuels, le jeu de société serait-il un retour nostalgiqu­e au monde matériel ? « On peut y voir un loisir refuge, note Philippe Maurin, expert du secteur et responsabl­e du site spécialisé Tric Trac. Mais c’est un ensemble de conjonctur­es : avec le jeu vidéo, le jeu de société n’est plus vu comme infantilis­ant, et une nouvelle génération, plus accessible, cible désormais les 25-35 ans. »

Ces jeux, dits party games (ou jeux d’apéro) se caractéris­ent par des règles simples et des parties de moins d’une heure, à l’image du « Jungle Speed » (plus de 3 millions d’exemplaire­s vendus dans le monde) ou du « Dobble » (7 millions). Deux titres du français Asmodee, leader dans l’Hexagone devant l’américain Hasbro (« Monopoly », « Trivial Pursuit »). « Avec les “party games”, le public s’est élargi », note Christophe Arnoult, PDG d’Asmodee. Plus de 1500 titres sortent chaque année. « On arrive à une surproduct­ion, à laquelle répondent les bars dédiés », souligne Bruno Faidutti, créateur de « Citadels ». Dans ces ludothèque­s alcoolisée­s, on teste un ou deux jeux, avant de les acquérir éventuelle­ment à la boutique attenante. Un passage à l’acte rare, les achats restant concentrés en décembre, avec une dépense moyenne de 19 euros. Au Nid, Nils Berenguer confirme que les recettes de sa boutique restent marginales : « C’est la bière qui nous fait vivre.»

 ??  ??
 ??  ?? Le Nid, à Paris, possède une bibliothèq­ue de 800 titres. Le point commun de ces jeux : des règles simples et des parties courtes, à disputer autour d’une bière.
Le Nid, à Paris, possède une bibliothèq­ue de 800 titres. Le point commun de ces jeux : des règles simples et des parties courtes, à disputer autour d’une bière.

Newspapers in French

Newspapers from France