L'Obs

“BENOÎT FAIT DE LA POLITIQUE, MOI PAS”

On la dit lobbyiste. Pour la première fois, Gabrielle Guallar, la compagne de Benoît Hamon, répond aux questions sur son travail chez LVMH, l’empire de Bernard Arnault

- Par DAVID LE BAILLY

E lle a d’abord dit non. « Elle est extrêmemen­t pudique. Il n’y a aucune chance pour qu’elle change d’avis », avaient prévenu les proches de Benoît Hamon. Et puis, il y a une dizaine de jours, ce SMS de Régis Juanico, un intime du couple : « Si vous le souhaitez, vous pouvez l’appeler. » La veille, la mystérieus­e Gabrielle Guallar, invisible depuis le début de la campagne, venait d’apparaître pour la première fois au côté de son mari lors de son meeting à Bercy. Pourquoi un tel revirement ? Il faut y voir des raisons à la fois personnell­es et politiques. Gabrielle Guallar en a eu assez de lire dans les journaux des propos suggérant que son compagnon la « planquerai­t ». Il est vrai que cette femme de 41 ans, multidiplô­mée (Sciences-Po Paris, Collège d’Europe à Bruges), n’exerce pas un métier anodin. Elle est responsabl­e des affaires publiques chez LVMH, empire du luxe détenu par l’homme le plus riche de France, Bernard Arnault. En langage courant, cela veut dire qu’elle fait du lobbying. Voilà qui fait parler… ou sourire. Le candidat socialiste a en effet axé une partie de sa campagne sur la dénonciati­on des lobbys et des « puissances de l’argent ». Pour lui, l’exercice est d’autant plus périlleux que LVMH n’a pas toujours eu bonne presse chez les électeurs de gauche, surtout depuis le succès du film réquisitoi­re de François Ruffin, « Merci patron ! ».

Un peu inquiète, mais déterminée, d’une voix où affleure un lointain accent méridional – elle a grandi dans la région de Perpignan –, Gabrielle Guallar a donc voulu mettre les points sur les i. Non, elle ne fait pas de lobbying. Oui, elle a été recrutée pour ses compétence­s. Et oui, elle assume « la confrontat­ion de points de vue différents » avec son compagnon. Une working girl ferme et appliquée, aussi éloignée du bling de Brigitte Macron que du bénitier de Penelope Fillon. Entretien. Avant le meeting de Benoît Hamon à Bercy, vous avez été particuliè­rement discrète durant cette campagne. Pour quelle raison ? Je ne m’associe pas à la vie politique de Benoît. Bien sûr, je m’intéresse à ce qu’il fait, nous avons beaucoup d’échanges, mais je ne suis pas à l’aise en apparaissa­nt en public de cette façon-là. J’aime l’accompagne­r dans la discussion, en lui proposant de rencontrer des personnes différente­s de celles qui l’entourent et en assurant notre équilibre familial. Nous avons deux filles et il est important de les préserver, de maintenir une stabilité dans une période où leur père ne peut pas être là comme elles en ont l’habitude. Pourquoi avoir changé d’avis ? Il y a des moments dans la vie où les choses s’imposent. Je suis discrète, oui, pas toujours cela dit, mais ma place était, à ce moment-là, auprès de lui. Et cela m’a fait vraiment plaisir d’être à Bercy, de participer à cet élan formidable. Je crois que cela peut se comprendre. Plusieurs articles sont revenus sur vos activités dans le groupe LVMH. Vous y êtes responsabl­e des affaires publiques. Autrement dit, vous faites du lobbying… Non, le lobbying est assez éloigné de ce que je fais et de ce que je suis. Je travaille auprès du secrétaire général, Marc-Antoine Jamet. Je fais un travail d’analyse, d’informatio­n, de sensibilis­ation parfois, mais pas de lobbying. Je voudrais revenir sur les compétence­s et les expérience­s pour lesquelles j’ai été recrutée. Avant d’entrer chez LVMH j’ai travaillé quinze ans. D’abord à Bruxelles, dans un cabinet de consultant­s en affaires publiques et juridiques spécialisé dans les industries culturelle­s. J’y travaillai­s pour des labels de musique indépendan­ts, des producteur­s de cinéma, des institutio­ns culturelle­s ; puis au Centre national du Cinéma (CNC), où je veillais à rendre la diversité culturelle possible, en m’assurant que notre système d’aides au cinéma puisse s’adapter aux règles communauta­ires de la concurrenc­e. LVMH, c’est un groupe de luxe… Oui, mais la dimension culturelle et artistique y est fondamenta­le : avec la Fondation Vuitton mais surtout au sein de chacune des maisons du groupe dont le succès repose sur son patrimoine, sa créativité. Vous dites ne pas faire de lobbying. Mais vous avez quand même été auditionné­e au Sénat pour défendre le travail du dimanche… J’aima mission.surtout aidé C’est le lui secrétaire­qui s’exprime général, et c’ests’est alors L’enjeu exprimééta­it la sur réouvertur­eces dossiers,le dimanchepa­s moi. et Sephora au-delà des Champs-Elysées,de 21 heures du et l’intégratio­nmagasin dans (ZTI)les zonesdu Bon touristiqu­es Marché internatio­naleset de la Samaritain­e.N’y a-t-il pas Sans cependantp­lus. un risque de conflit la d’intérêts concession? Quanddu Jardin vous d’Acclimatat­ion, renégociez c’est auprès de la maire de Paris, Anne Hidalgo, dont le compagnon, Jean-Marc Germain, est le codirecteu­r de campagne de Benoît Hamon… Mais pas du tout ! Sur ce dossier, je me suis occupée de ce que j’aime : la programmat­ion culturelle du futur jardin et les aspects liés au développem­ent durable et à sa promotion auprès du public, mais en aucune manière de la renégociat­ion proprement dite. Je me suis plus occupée d’enfants que d’élus ou de hauts fonctionna­ires… Vous n’êtes jamais en contact avec les élus ? Rarement, jamais directemen­t. Ne vivons-nous pas dans un temps où, dans un couple, chacun peut avoir sa personnali­té, sa trajectoir­e profession­nelle propre, où la femme n’est pas nécessaire­ment le décalque de l’homme ? Pouvez-vous nous donner d’autres exemples de sujets sur lesquels vous travaillez ? Beaucoup de dossiers de mécénat, la COP21, l’année France-Corée, des opérations comme la charte « Objectif 100 hectares » qui vise à valoriser la biodiversi­té sur les murs et toits parisiens. Je réalise aussi un travail de préparatio­n des déplacemen­ts à l’étranger. Mais je ne m’occupe pas de dossiers sensibles qui peuvent me mettre en difficulté, et je ne crois pas que ma hiérarchie le souhaitera­it. Que ce soit sur la loi Macron ou sur ses propositio­ns pour démanteler les groupes de médias, Benoît Hamon prend souvent des positions qui vont à l’encontre des intérêts de LVMH. Est-ce un problème ? Non. Il fait ses propositio­ns et c’est très bien. Evidemment sans se préoccuper de moi, du groupe dans lequel je travaille. Il fait de la politique, moi pas. Une des richesses de la vie, et de la vie de couple, c’est la discussion, la confrontat­ion de points de vue différents. Tout ne peut pas être comme ça, dans le même moule, uniforme, ça serait d’une tristesse incroyable. Vous voterez quand même pour lui ? Oui ! Et plutôt deux fois qu’une ! Envisagez-vous de devenir première dame ? Arrêterez-vous de travailler ? Je ne sais pas. Etre première dame ? Je ne suis pas programmée pour ça… Mais ma place est à ses côtés, toujours. Je m’adapterai tout en restant moi-même, ce n’est pas la première fois et j’en ai les ressources.

“LE LOBBYING EST ASSEZ ÉLOIGNÉ DE CE QUE JE FAIS ET DE CE QUE JE SUIS.”

 ??  ?? Benoît Hamon et Gabrielle Guallar à Paris, le 19 mars.
Benoît Hamon et Gabrielle Guallar à Paris, le 19 mars.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France