L'Obs

LES MYSTÈRES DE PENELOPE

Depuis trente-sept ans, elle est aux côtés de son mari. Qui est Mme Fillon : une “paysanne” galloise victime de la politique ou une indéfectib­le alliée? Celle qui a toujours fui les mondanités et les caméras sort de l’ombre au pire moment

- Par MAËL THIERRY

C e 23 janvier, Penelope Fillon savoure une petite coupe de champagne. A la salle des fêtes de Solesmes, on trinque au départ en retraite de la secrétaire générale de la mairie. Mais, dans l’assistance, les regards se tournent surtout vers celle qui – personne n’en doute alors – va devenir la prochaine première dame. Oubliera-t-elle ses terres sarthoises, une fois absorbée par sa « vie parisienne bien dense »? Non, jure-t-elle. Elle « compte bien rester conseillèr­e municipale à Solesmes », où elle s’occupe du fleurissem­ent et du bulletin municipal. N’a-t-elle pas peur de ses nouvelles obligation­s, aux côtés du futur chef de l’Etat ? Elle s’y prépare, elle s’adaptera, promet-elle, gênée de susciter tant d’attention. Comme toujours, « Penny » aimerait se fondre dans le décor.

Le lendemain, la foudre lui tombe sur la tête lorsque sortent les premières révélation­s du « Canard enchaîné ». La si discrète épouse de l’ancien Premier ministre se retrouve à la une des journaux du monde entier, bientôt convoquée chez le juge en vue d’une mise en examen, son nom associé à un scandale. On ne parle plus que du « Penelopega­te », vocable qui résonne encore plus violemment à ses oreilles d’Anglo-Saxonne. Elle rêvait qu’on l’oublie. Elle préférait changer de trottoir plutôt que d’attirer les regards au côté de son mari. Elle devient celle qui fait basculer la campagne présidenti­elle.

De cette femme effacée, les Français découvrent tout. Son job d’assistante – fictif ? – auprès de François Fillon. Ses salaires mirobolant­s. Son autre emploi à la « Revue des deux mondes ». Ses origines galloises. Son allure de « paysanne », comme elle dit. Et ce visage de douleur qui apparaît sur toutes les chaînes d’info lorsque, le 29 janvier, elle s’affiche aux côtés de son mari au meeting de la Villette. Le vainqueur de la primaire serre la main figée de son épouse et proclame ce jour-là : « Je veux dire à Penelope que je l’aime ».

Ni ce dimanche ni depuis, les Français n’entendront sa voix. Penelope Fillon est celle dont tout le monde parle, mais qui ne parle jamais. Mis à part un entretien exhumé par « Envoyé spécial », dans lequel elle affirme clairement n’avoir « jamais été l’assistante » de son mari. Et une interview très encadrée dans « le Journal du Dimanche », à laquelle elle a répondu entourée de la communican­te de son mari, Anne Méaux, et de son avocat. Un temps, une interventi­on télé a été envisagée. Mais le candidat de la droite n’en a pas voulu, épaississa­nt encore plus le mystère Penelope. Qui estelle? Qui est cette femme aux yeux clairs mais au regard perçant ? La victime d’un système mis en place à son insu? Une héroïne de Flaubert ou de Maupassant, malheureus­e dans son manoir de Beaucé pendant que monsieur fait de la politique à Paris? Ou une maîtresse de maison bourgeoise à la Chabrol, dissimulan­t bien des secrets derrière une apparence anodine ?

Dans la Sarthe, ses amis lui ont envoyé des messages de soutien. « Pourquoi vous ne vous exilez pas en Angleterre avec ce procès stalinien? » lui a dit l’un au téléphone, sans obtenir de réponse. Une voisine, qui l’a croisée récemment, s’inquiète : « Elle a minci. Elle s’est exilée en elle-même. » A Paris, l’épouse de l’ancien Premier ministre est soutenue par des mères d’élèves de l’établissem­ent privé du 7e arrondisse­ment où son dernier fils, Arnaud, 15 ans, est scolarisé. Elles prennent le café chez l’une ou l’autre, mais jamais plus à l’extérieur, comme avant. A son domicile, des tonnes de courrier arrivent. « J’espère qu’elle ne l’ouvre pas toute seule », souffle une amie. Les rumeurs les plus folles circulent : le 1er mars, alors que François Fillon vient d’annuler en catastroph­e sa visite au Salon de l’Agricultur­e, on l’annonce même au bord du suicide sur les réseaux sociaux. Anne Méaux appelle aussitôt. En fait, une ambulance était simplement passée en bas de son domicile parisien. Ce jour-là, alors que la panique s’empare de la droite, Penelope glisse au téléphone : « Il faut que François se maintienne. » « C’est désormais pour elle une question d’honneur, assure un proche du couple. C’est elle qui a décidé d’aller au Trocadéro. » Ce dimanche 5 mars où son mari sauvera finalement sa candidatur­e, aux côtés de sa fille aînée, Marie, Penelope, le visage figé, les cheveux au vent, agite timidement son petit drapeau bleu, blanc, rouge.

Dans les moments clés, elle a toujours été là. En août dernier, chapeau de paille et lunettes de soleil, elle est à ses côtés lorsque Fillon lance son retentissa­nt « Qui imagine le général

de Gaulle mis en examen ? », lors de sa rentrée à Sablé-sur-Sarthe. Aux gens qui doutent, elle donne le change. Lorsque, à quelques semaines de la primaire, son ami JeanClaude Ragaru, président du festival de musique baroque de Sablé dont elle est une habituée, lui lâche : « Avec un petit effort, François va être sur le podium », elle répond : « Peutêtre même un peu mieux… » Le 20 novembre, elle est dans le bureau de son mari lorsqu’il apprend son triomphe au premier tour de la primaire. Mais elle reste ensuite seule à l’attendre de longues minutes dans la nuit sur le trottoir du boulevard Saint-Germain, quand le vainqueur va remercier ses jeunes supporters dans le café d’en face. Elle ne manque aucun débat télé, mais refuse de s’asseoir au premier rang dans le public. « La priorité pour elle, c’est François, François, François », assure un ami du couple. Lui a fait un autre choix, sa carrière l’éloignant de sa famille. Mais le couple dure depuis trente-sept ans. Les rares élus proches de Fillon racontent un mari attentionn­é… quand il n’est pas happé par la politique. C’est à elle, et à elle seule, qu’il dédie son livre « Faire », paru à la fin 2015. Invité à dîner chez un proche, Jean de Boishue, il s’éclipse : « Penelope m’attend. » Dans l’avion, dont elle a peur, il choisit toujours le côté qui la rassure. En octobre dernier, il assiste au grand raout organisé salle Pleyel par son ami le financier Marc Ladreit de Lacharrièr­e pour le dixième anniversai­re de la Fondation Culture et Diversité. François Hollande, une flopée de ministres, Grand Corps Malade, sont là. Pas Penelope, qui n’aime pas ces mondanités, quand bien même l’organisate­ur est son généreux employeur à la « Revue des deux mondes ». « Fillon a appelé Penelope trois fois dans la soirée, il s’inquiétait qu’elle ne soit pas contente, il la prévenait qu’il serait en retard… » se souvient un invité. « Elle est son meilleur ami, c’est ça la clé, estime un de ses anciens ministres, qui connaît le couple. Fillon n’a pas d’amis. Il a des affidés qui le suivent, mais ils ne sont qu’à moitié payés en retour. Avec elle, il a une relation fusionnell­e. Elle est l’une des rares à tout savoir de lui, à le comprendre, à ne rien lui reprocher. Dans l’attention qu’il lui porte, il y a bien plus que l’attention d’un homme pour sa femme. C’est à la vie à la mort. » Cette relation est d’autant plus forte que François Fillon est très lié à son frère Pierre, ophtalmolo­gue au Mans, patron de l’Automobile Club de l’Ouest et marié à… Jane, la soeur de Penelope.

Lorsque Penelope Clarke rencontre le jeune François lors d’un dîner en 1974, elle est assistante d’anglais dans une école du Mans, lui étudiant. Ce n’est pas le coup de foudre. Les hommes, dit-on, cherchent des épouses qui ressemblen­t à leur mère. « Penny » n’a rien à voir avec Anne Fillon, professeur d’histoire à l’université, à la forte personnali­té. « Ah, vous allez voir Penelope? Bon courage, parce qu’elle ne parle pas beaucoup, même quand j’appelle pour avoir des nouvelles de mes petits-enfants! » lâchera celle-ci bien des années plus tard à Christine Kelly, la biographe de son fils (1). Dans les dîners, lorsqu’ils étaient jeunes, les copains de François s’amusaient même à un petit jeu : qui réussira à faire parler Penelope ?

Fille d’un avocat et d’une mère au foyer, « Penny », née en 1955 à Llanover au pays de Galles, n’a pas 20 ans quand elle débarque dans la Sarthe. Elle aime ce pays, ses chaumières, ses prairies, ses chevaux, la brume le matin qui lui rappelle sa campagne galloise. Elle épouse François en 1980. Les jeunes mariés vivent d’abord dans une ferme au milieu de nulle part, la Chaberdièr­e, qui donne sur la forêt. Bien des années plus tard, ils changeront de standing en acquérant « Beaucé », un manoir et son parc de 12 hectares. De quoi élever leurs cinq enfants (les quatre premiers, Marie, Charles, Antoine et Edouard, naissent en l’espace de sept ans) et les chevaux de madame.

Lorsqu’elle l’épouse, François n’est que l’assistant parlementa­ire de la figure locale Joël Le Theule, un ami des parents Fillon. Son décès brutal, en décembre 1980, change tout. « Je suis allé chercher François par le col pour qu’il se présente, raconte son ami Bernard Irondelle. Il a fallu convaincre Penelope. Elle trouvait que la politique était un milieu assez pourri. » Un autre proche se souvient de François

“ELLE EST SON MEILLEUR AMI, C’EST ÇA LA CLÉ” UN ANCIEN MINISTRE

Le couple Fillon au QG de campagne du candidat, le 24 février. venu lui dire : « J’ai demandé à Penelope si elle préférait que je fasse du journalism­e ou de la politique. Elle m’a dit : “Quel que soit ton choix, je te suivrai.” »

Les premiers temps, « Penny » tracte pour sa campagne, assiste aux meetings au fond de la salle. Toujours, elle fuit les mondanités, dans la Sarthe ou à Paris où elle suit son mari devenu ministre. Mais elle fait son devoir. Au départ de Matignon, elle organise une réception à Solesmes, où le personnel qu’elle a tant apprécié est invité. Elle ne s’aventure que rarement à commenter la politique nationale, même si elle en connaît les secrets et la rudesse. Son mari congédié par Chirac, humilié à Matignon. Elle admire Séguin, moins Chirac ou Sarkozy, cet exubérant qui traite son mari de « collaborat­eur ». Son modèle de première dame ? Ni Danielle Mitterrand ni Carla Bruni… Plutôt «l

Blair, qui était de gauche, active. Elle en prend le contrepied », note un ancien ministre.

« Je ne suis pas si stupide… » Devant une journalist­e du « Sunday Telegraph » en 2007, Penelope, plus à l’aise dans sa langue maternelle, se révèle un peu. Elle n’est pas que la femme au foyer triste qu’elle a l’air d’être, elle vient de s’inscrire à l’université en littératur­e anglaise, rappelle ses études de droit, dit qu’elle aurait cherché un travail si elle n’avait pas eu son dernier enfant. « Super discrète ne veut pas dire sans personnali­té », prévient Patrick Hetzel, député proche du couple. A Matignon, elle ne se laissait pas imposer son agenda par la secrétaire de François Fillon, qui avait tendance à l’imaginer suppléer monsieur à toutes sortes d’inaugurati­ons. Elle honorait cependant des rendez-vous, telle cette visite à des militaires blessés aux Invalides… Elle était aux côtés de son mari pour des remises de Légion d’honneur, comme celle attribuée à son amie Marie-Blanche Sirven-Viénot. Cette créatrice d’une agence de communicat­ion avait fait de Penelope l’une des membres de son club de femmes influentes, Ladies First Internatio­nal.

En juin 2011, Frédéric Mitterrand la croise à la représenta­tion d’« Un fil à la patte », de Feydeau, à laquelle ministres et épouses sont conviés. « Je lui demande si elle ne trouve pas que c’est quand même le summum de la grivoiseri­e française pour une Anglaise aussi romantique et bien élevée qu’elle : “Justement, c’est ce que j’aime en France et que nous n’avons pas chez nous.” Dit avec un sourire de jeune fille et une délicieuse pointe d’accent britanniqu­e », raconte-t-il dans « la Récréation » (2). « Penelope Fillon, écrit encore l’ancien ministre de la Culture, me fait penser aux personnage­s incarnés par Maggie Smith ou Deborah Kerr, “l’Anglaise romantique”, si jolie et si discrète qu’elle pose sa bombe au quartier général des terroriste­s sans éveiller l’attention et sort les otages du brasier à temps pour ne pas rater l’heure du thé. »

Une marionnett­e ? Une « nunuche » qui aurait pu signer des contrats sans les comprendre ? C’est mal connaître Penelope, balaie une amie : « Dans le foyer, c’est elle qui s’occupe des factures. Elle s’occupait de payer les impôts ou le jardinier, lui n’avait pas le temps. » « Elle a été très choquée qu’on puisse la prendre pour une imbécile qui n’aurait même pas été au courant qu’elle était assistante », insiste son avocat Pierre Cornut-Gentille. Pourtant, même les plus proches de Fillon doutent : Penelope savait-elle ?

Qu’a-t-elle accepté pour « François » ? S’est-elle, comme certains le supposent, convertie de l’anglicanis­me au catholicis­me afin de plaire à son époux ? « Je ne me suis pas définie par rapport à lui », confiet-elle à une journalist­e qui lui pose la question. Il n’empêche : « Elle ne se laisse rien imposer… sauf si François lui dit “il faut que tu le fasses”. » Il est souvent arrivé que l’ancien Premier ministre prenne les choses en main : c’est lui qui demande à Marc Ladreit de Lacharrièr­e d’embaucher son épouse; lui qui fixe sa rémunérati­on auprès de son suppléant Marc Joulaud; lui encore, en 2014, qui appelle l’ancien maire de Solesmes : « Que penses-tu de l’idée que ma femme me succède au conseil municipal ? » lui dit-il.

Plus jeune, « François », amoureux de la montagne, entraînait Penelope dans ses longues randonnées. Et là encore, elle le suivait, envers et contre tout. « Je ne sais pas si elle aimait la montagne, mais elle y allait avec François. Il a fait tous les 4000 mètres de Suisse, il partait tôt le matin avec elle, se souvient leur ami Bernard Irondelle. A une époque, elle souffrait du talon d’Achille, mais elle boitait quand François ne la regardait pas. C’est une dure à cuire ! Pour elle, que ce soit à la maison ou à la montagne, on va jusqu’au bout du chemin. On va au bout du bout. » Elle y est. (1) « François Fillon. Les coulisses d’une ascension », par Christine Kelly (Editions de l’Archipel, 2017). (2) Editions Robert Laffont, 2013.

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 ??  ?? Week-end de course automobile. François Fillon au Mans, en compagnie de Penelope et de leurs enfants, en juillet 2004.
Week-end de course automobile. François Fillon au Mans, en compagnie de Penelope et de leurs enfants, en juillet 2004.
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