Sablé-sur-Sarthe à l’heure allemande
C’est un village comme tant d’autres, pas très loin du Mans. Alice et Eugène, les parents de Pierre Péan, y tiennent le salon de coiffure. Dans ce confessionnal laïque, on sait tout. Enfin presque. Entre les shampooings, la vie quotidienne s’écoule paisiblement avec ses petites histoires et ses rancoeurs jusqu’en 1939. Pierre Péan a 1 an. A l’arrivée des Allemands, ce Clochemerle devient une France en réduction, à peine protégée par les silencieux voisins, les moines de l’abbaye de Solesmes qui ont fort à prier. Après avoir eu à sa tête un socialiste, le premier maire noir de métropole, qui mourra à Buchenwald, la municipalité fait allégeance à Pétain. Il y a bien quelques résistances, notamment du côté du salon de coiffure. On y parle de cette excentrique millionnaire américaine, de cet aviateur républicain espagnol nommé Teruel qui finira ses jours à Bergen-Belsen, de cette comtesse très digne, de ces gens qui ont caché des enfants juifs et du réseau Butler qui s’est mis en place. Mais on chuchote aussi sur l’admiratrice de Hitler, sur l’épicière qui pratique la collaboration horizontale et sur le curé maréchaliste qui trouve que tout cela va trop loin dans l’ignominie alors que le journal local considère la rafle du Vél’d’Hiv insuffisante. Le poète Pierre Reverdy, lui, s’est retiré dans sa « bicoque » et traverse le village le béret vissé sur la tête et la misanthropie en bandoulière. A la Libération, les collabos de la première heure rasent les murs et les résistants de la dernière tondent les femmes. Ces adeptes de ce carnaval moche vont jusqu’à liquider un prétendu gestapiste surnommé « Papillon » de deux balles dans la nuque, alors qu’il était sans doute un agent britannique. Son fils, tué en Indochine, n’aura pas lui non plus les honneurs d’une tombe.
Par petites touches, avec un sens maîtrisé du portrait et de la scène qui fait mouche, Pierre Péan raconte sa bourgade à l’heure allemande. Il consacre la dernière partie de sa « Petite France » à rétablir la vérité sur le fameux Papillon et à faire justice à son fils. Il fouille les archives et débusque les rares témoins encore vivants. En épilogue, il est question de Joël Le Theule et de François Fillon. Le village en question s’appelle Sablé-sur-Sarthe…