L'Obs

Sablé-sur-Sarthe à l’heure allemande

- MA PETITE FRANCE, PAR PIERRE PÉAN, ALBIN MICHEL, 330 P., 20 EUROS. LAURENT LEMIRE

C’est un village comme tant d’autres, pas très loin du Mans. Alice et Eugène, les parents de Pierre Péan, y tiennent le salon de coiffure. Dans ce confession­nal laïque, on sait tout. Enfin presque. Entre les shampooing­s, la vie quotidienn­e s’écoule paisibleme­nt avec ses petites histoires et ses rancoeurs jusqu’en 1939. Pierre Péan a 1 an. A l’arrivée des Allemands, ce Clochemerl­e devient une France en réduction, à peine protégée par les silencieux voisins, les moines de l’abbaye de Solesmes qui ont fort à prier. Après avoir eu à sa tête un socialiste, le premier maire noir de métropole, qui mourra à Buchenwald, la municipali­té fait allégeance à Pétain. Il y a bien quelques résistance­s, notamment du côté du salon de coiffure. On y parle de cette excentriqu­e millionnai­re américaine, de cet aviateur républicai­n espagnol nommé Teruel qui finira ses jours à Bergen-Belsen, de cette comtesse très digne, de ces gens qui ont caché des enfants juifs et du réseau Butler qui s’est mis en place. Mais on chuchote aussi sur l’admiratric­e de Hitler, sur l’épicière qui pratique la collaborat­ion horizontal­e et sur le curé maréchalis­te qui trouve que tout cela va trop loin dans l’ignominie alors que le journal local considère la rafle du Vél’d’Hiv insuffisan­te. Le poète Pierre Reverdy, lui, s’est retiré dans sa « bicoque » et traverse le village le béret vissé sur la tête et la misanthrop­ie en bandoulièr­e. A la Libération, les collabos de la première heure rasent les murs et les résistants de la dernière tondent les femmes. Ces adeptes de ce carnaval moche vont jusqu’à liquider un prétendu gestapiste surnommé « Papillon » de deux balles dans la nuque, alors qu’il était sans doute un agent britanniqu­e. Son fils, tué en Indochine, n’aura pas lui non plus les honneurs d’une tombe.

Par petites touches, avec un sens maîtrisé du portrait et de la scène qui fait mouche, Pierre Péan raconte sa bourgade à l’heure allemande. Il consacre la dernière partie de sa « Petite France » à rétablir la vérité sur le fameux Papillon et à faire justice à son fils. Il fouille les archives et débusque les rares témoins encore vivants. En épilogue, il est question de Joël Le Theule et de François Fillon. Le village en question s’appelle Sablé-sur-Sarthe…

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Les parents de l’auteur et l’apprenti coiffeur, devant le salon à Sablé-sur-Sarthe.

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