La femme aux quatre visages
ORPHELINE, PAR ARNAUD DES PALLIÈRES. DRAME FRANÇAIS, AVEC ADÈLE HAENEL, ADÈLE EXARCHOPOULOS, SOLÈNE RIGOT, GEMMA ARTERTON, JALIL LESPERT (1H51).
Les films qui vous happent dès la première minute pour ne pas vous lâcher avant la dernière sont rares. Tout comme ceux qui ne se revendiquent pas féministes, mais le sont par essence. « Orpheline » est de ceux-là. Quel tumulte agite Renée (Adèle Haenel), jeune directrice de maternelle, en ce jour de classe ordinaire ? Un coup de fil nous apprend qu’elle s’apprête à pratiquer une fécondation in vitro. Débarque alors Tara (Gemma Arterton), tout juste sortie de prison, qui réclame sa part d’un mystérieux pactole, sans quoi elle dénoncera Renée à la police. Celle-ci obtempère et vide son compte épargne pour s’acquitter de sa dette. Quelques scènes plus tard, on retrouve Tara dans l’enceinte d’un hippodrome. Aux bras d’un bookmaker, elle fait les yeux doux à Sandra (Adèle Exarchopoulos), compagne d’un autre parieur, avec lequel son homme est en affaires. Il faut un moment pour comprendre que Sandra et Renée sont la même personne, à deux âges d’une vie que le film dévoile à rebours. Arnaud des Pallières raconte son héroïne comme on ouvre une poupée russe : en quatre temps et avec quatre actrices différentes. En remontant ainsi aux racines du personnage, il révèle ses multiples visages. Fillette de la campagne marquée par un terrible drame (Vega Cuzytek), adolescente violentée par son père et en quête d’émancipation (Solène Rigot), jeune provinciale avide d’expériences et future mère rangée et responsable. A aucun moment ce procédé de substitution d’une actrice par une autre ne paraît artificiel. Mieux : à mi-chemin entre l’utilisation fantasmatique qu’en fit Buñuel dans « Cet obscur objet du désir » et celle, plus prosaïque, à l’oeuvre dans le récent « Moonlight », il démultiplie la force romanesque du film.
Dans « Orpheline », tout passe par la circulation des corps et la sensualité des comédiennes remarquables, que le cinéaste filme au plus près, sans fard. La parenté avec « la Vie d’Adèle » – la présence d’Adèle Exarchopoulos, l’appartenance du personnage adulte au monde de l’enseignement et le naturel des scènes de sexe aidant – est un leurre. De même que le titre, « Orpheline », dont on ne saisit la portée qu’à la toute fin. A son approche théorique habituelle, qui pouvait rendre abscons un film comme « Michael Kohlhaas », des Pallières ajoute du drame et de la chair. Il mène son récit comme un polar à suspense (le spectateur a toujours un train de retard sur ce qui se joue), comme une série de variations autour de motifs semblables, et signe une fugue électrisante.