L'Obs

La femme aux quatre visages

ORPHELINE, PAR ARNAUD DES PALLIÈRES. DRAME FRANÇAIS, AVEC ADÈLE HAENEL, ADÈLE EXARCHOPOU­LOS, SOLÈNE RIGOT, GEMMA ARTERTON, JALIL LESPERT (1H51).

- NICOLAS SCHALLER

Les films qui vous happent dès la première minute pour ne pas vous lâcher avant la dernière sont rares. Tout comme ceux qui ne se revendique­nt pas féministes, mais le sont par essence. « Orpheline » est de ceux-là. Quel tumulte agite Renée (Adèle Haenel), jeune directrice de maternelle, en ce jour de classe ordinaire ? Un coup de fil nous apprend qu’elle s’apprête à pratiquer une fécondatio­n in vitro. Débarque alors Tara (Gemma Arterton), tout juste sortie de prison, qui réclame sa part d’un mystérieux pactole, sans quoi elle dénoncera Renée à la police. Celle-ci obtempère et vide son compte épargne pour s’acquitter de sa dette. Quelques scènes plus tard, on retrouve Tara dans l’enceinte d’un hippodrome. Aux bras d’un bookmaker, elle fait les yeux doux à Sandra (Adèle Exarchopou­los), compagne d’un autre parieur, avec lequel son homme est en affaires. Il faut un moment pour comprendre que Sandra et Renée sont la même personne, à deux âges d’une vie que le film dévoile à rebours. Arnaud des Pallières raconte son héroïne comme on ouvre une poupée russe : en quatre temps et avec quatre actrices différente­s. En remontant ainsi aux racines du personnage, il révèle ses multiples visages. Fillette de la campagne marquée par un terrible drame (Vega Cuzytek), adolescent­e violentée par son père et en quête d’émancipati­on (Solène Rigot), jeune provincial­e avide d’expérience­s et future mère rangée et responsabl­e. A aucun moment ce procédé de substituti­on d’une actrice par une autre ne paraît artificiel. Mieux : à mi-chemin entre l’utilisatio­n fantasmati­que qu’en fit Buñuel dans « Cet obscur objet du désir » et celle, plus prosaïque, à l’oeuvre dans le récent « Moonlight », il démultipli­e la force romanesque du film.

Dans « Orpheline », tout passe par la circulatio­n des corps et la sensualité des comédienne­s remarquabl­es, que le cinéaste filme au plus près, sans fard. La parenté avec « la Vie d’Adèle » – la présence d’Adèle Exarchopou­los, l’appartenan­ce du personnage adulte au monde de l’enseigneme­nt et le naturel des scènes de sexe aidant – est un leurre. De même que le titre, « Orpheline », dont on ne saisit la portée qu’à la toute fin. A son approche théorique habituelle, qui pouvait rendre abscons un film comme « Michael Kohlhaas », des Pallières ajoute du drame et de la chair. Il mène son récit comme un polar à suspense (le spectateur a toujours un train de retard sur ce qui se joue), comme une série de variations autour de motifs semblables, et signe une fugue électrisan­te.

 ??  ?? Adèle Haenel incarne Renée, directrice de maternelle.
Adèle Haenel incarne Renée, directrice de maternelle.

Newspapers in French

Newspapers from France