Les habits sont-ils des sculptures ?
Votre serviteuse rentre de Wakefield, petite ville du Yorkshire, en Angleterre. Il y a là-bas jusqu’en juin une exposition, « Disobedient Bodies », sur la façon dont les habits nous façonnent. Ça mélange vêtements (de chez Comme des Garçons, par exemple) et sculptures (de Henry Moore, par exemple). Le commissaire de l’exposition, Jonathan Anderson, est le directeur artistique de la marque Loewe. C’est un petit génie de la mode. Il a, par ailleurs, un don oratoire (rare chez ses collègues) et a fait un discours pour l’inauguration de l’expo. Ce qu’il a dit à cette occasion nous semble parfaitement exprimer le malaise absurde existant entre la mode et l’art. Il a dit qu’il vivait ce malaise en lui-même. Que ça le tenaillait comme un complexe, en quelque sorte. Ce complexe, le monde entier l’a. La mode a beau être notamment au Louvre, avec les bijoux qui nous restent de différentes époques de l’histoire, la mode a beau être entrée au Metropolitan Museum grâce à une ancienne directrice de magazine, Diana Vreeland, dans les années 1970, la mode a beau avoir « des musées » partout dans le monde… qu’à ce cela ne tienne, elle reste suspecte. On lui reproche d’être mercantile. Comme si l’art ne l’était pas ! On lui reproche d’être condamnée à être portée pour exister : comme si une musique n’était pas condamnée à être jouée pour se faire entendre ! On lui reproche d’obéir à des tendances : comme si l’art s’en privait, avec ses cotes permanentes, lapidaires. On lui reproche de se prendre au sérieux. Tandis que l’art… On lui reproche d’être « barrée », alors que c’est le signe de sa liberté artistique. Pourquoi ce mépris ? Votre serviteuse a son idée sur la question : le plus grand caillou dans la chaussure de la mode, c’est qu’elle est essentiellement féminine. Eh oui. Qu’à cela ne tienne, elle fait son chemin en sous-main, et une exposition comme celle du Hepworth Wakefield fait tomber des préjugés. Bénie soit-elle !