L'Obs

AVOIR 18 ANS ET VOTER “MARINE”

Ils ont entre 18 et 24 ans et ont donné leur voix au FN. “L’Obs” est parti à la rencontre d’étudiants de filières profession­nelles, sans attache militante, qui votaient pour la première fois. Reportage dans des meetings de la candidate

- Par MARIE GUICHOUX et THÉOPHILE SIMON

Ce jour-là, dans ce centre de formation installé dans une banlieue d’une grande ville, le match de basket opposait les enseignant­s à leurs élèves de la filière sports. « Nos profs ont choisi d’appeler leur équipe #Mélenchon. Aussitôt, des jeunes de mon équipe ont lancé : “Nous, c’est #Bleu Marine.” Ça a fait presque l’unanimité », raconte Soumaré, leur capitaine. Malgré son influence sur eux, il n’a rien pu faire pour contrer le choix de ses joueurs. Encore stupéfait, il s’interroge : « Je ne comprends pas comment, quand on est jeune, on peut choisir un parti raciste ! » Ils sont pourtant 21% parmi les 18-24 ans à l’avoir fait (voir encadré).

« J’ai peur de sortir de chez moi à cause du terrorisme. Dans le train, quand je vais à mes cours, je regarde si quelqu’un ne pourrait pas cacher des explosifs », raconte Benjamin, 18 ans, en première, section technicien conseil-vente en animalerie, la spécialité de son lycée dans les Yvelines. Avec Le Pen au pouvoir, dit-il, il se sentirait davantage en sécurité. Léa, en CAP coiffure à Besançon, raconte que « les attentats [l]’ont beaucoup influencée. Depuis, [elle] écoute particuliè­rement ce que les candidats proposent sur la sécurité ».

A Nice, Ulysses et Nathan sont venus écouter la candidate qu’ils ont choisie au premier tour et pour qui ils voteront le 7 mai. Les deux copains de classe, en terminale technologi­que hôtellerie, placent aussi en tête de leurs motivation­s « la sécurité ». Ils approuvent la promesse de Marine Le Pen d’expulser tous les fichés S. Même s’ils n’y vivent pas, ils craignent « les quartiers sensibles ». « Ici, à Nice, dit Ulysses, il y a les Moulins et, pire encore, l’Ariane. Certains habitants de ces quartiers ne sont même plus chez eux. » Récemment, une de leurs enseignant­es a organisé un vote en classe. Résultats : « Dix pour Macron, neuf pour Le Pen, le reste blanc ou nul. Dans une autre classe, c’est Le Pen qui est arrivée en tête. »

Le rejet de l’islam dans les discours de la candidate ? Il leur passe au-dessus de la tête. « Hé, je vais pas trier mes amis! » s’exclame Ulysses, qui a des copains de confession musulmane. Dire qu’eux-mêmes seraient xénophobes ou racistes, « c’est des conneries ». Rencontrée dans l’Essonne, Pauline, clairement de gauche, n’est pas d’accord. « Les jeunes passent du tout au tout. Ils ne savent rien, mais ils sont pour que tous les Noirs sortent du pays. Un de mes potes a eu un mauvais vécu avec une personne musulmane, et il m’en a fait tout un catalogue! »

La veille du meeting de Nice, Grégory a passé la visite médicale obligatoir­e pour intégrer l’école de police de Nîmes. Son père est ouvrier, sa mère travaillai­t « dans le service », une figure de style pour ne pas dire femme de ménage. A 19 ans, Grégory est un garçon posé, réfléchi. « J’aime bien l’idée d’égalité entre les hommes », mais « ce sentiment patriote » qui résonne en lui, c’est chez Marine Le Pen qu’il l’a trouvé. Après « beaucoup d’hésitation­s », il a voté et votera à nouveau pour elle. Il dit comprendre que « les immigrés fuient la guerre, mais… ». Sa phrase reste en suspens. D’autres expriment sans états d’âme ce qu’il pense tout bas. « Je trouve qu’il y en a trop. Marine Le Pen m’intéresse à cause de ce qu’elle dit sur les immigrés », souligne Carla, en BTS commercial à Gray, joli village assoupi dans la campagne haut-saônoise.

Alors qu’un perroquet, en liberté dans la salle de travaux pratiques, se pose sur son bras, Benjamin raconte : « Dans le train, il y en a toujours un pour demander un euro. Je leur dis que j’ai pas, je retire pas souvent du liquide, mais ils insistent pour que j’ouvre mon porte-monnaie. » Mélissa, la Bisontine, s’en tient à ce que son père lui a dit : « Les réfugiés, on leur file 400 euros par mois, alors que les SDF crèvent dans la rue. » Un jeune mécanicien de Metz, venu écouter la candidate FN en meeting, est en colère. « Il faudra m’expliquer un jour pourquoi, en 2017, il y a toujours autant de pauvres et de gens qui dorment dans les rues. Surtout quand les politiques filent de faux emplois à leurs gamins ! Marine Le Pen, elle, va changer le système. »

Du coup, la priorité nationale, au coeur du projet du FN, leur paraît être une évidence. « Les migrants prennent le boulot des Français », continue Mélissa, pour qui il est normal de favoriser les Français. Benjamin, en alternance, gagne 649 euros net. Selon les mois et les besoins de ses parents, il leur « donne 100 à 200 euros, parfois rien », pour contribuer à remplir le caddie de cette famille de six. « Pour nous, dit-il, Marine est proche des gens. Elle parle des galères pour trouver un logement, un travail. » L’apprentiss­age, l’alternance, les sections pro… les candidats ont tous le mot de « filières d’avenir » à la bouche. C’est bien beau, disent-ils, mais certains cherchent « souvent pendant un an » avant de trouver l’entreprise qui les accueiller­a, condition sine qua non de leur scolarité en alternance. Et puis il y a ce mépris que tous ressentent. « On est en bas de l’échelle, nous. Coiffeuse, c’est un truc bas », affirme Doriane, qui s’apprête à chercher un emploi dans un salon à Paris ou à Lyon.

Bien souvent, ils suivent ou partagent le choix des parents. Parfois, parents et jeunes se sont même convertis ensemble. Et ce bulletin glissé dans l’urne est pour eux un moyen d’envoyer un message, de dire que la société qu’ils ont sous les yeux est malade de ses inégalités. Ce serait aussi un vote tendance, une façon d’exister. Jeune électrice de gauche, Pauline en est persuadée : « Certains, ils choisissen­t Le Pen pour faire genre… »

Autrefois, la politique pouvait être un critère dans le choix des amitiés. Bandes de gauche et bandes de droite n’imaginaien­t pas se mélanger. Les 18-24 ans, aujourd’hui, placent l’amitié au-dessus de tout. Pour éviter que la politique ne crée des embrouille­s, c’est tout simple, ils n’en parlent pas. Ils cohabitent, quels que soient leurs choix. « Mon petit copain vote Le Pen, il est raciste », explique Océane, originaire de Fontaine-Française, en Côte-d’Or, qui ne veut pas, elle, voter pour une candidate qui « veut changer l’Europe », car « on a toujours grandi avec ». Une autre, croisée à Nice, qui souhaite rester anonyme, raconte que « [son] copain a voté Mélenchon » tandis qu’elle vote Le Pen, « et [que] ça marche très bien quand même ». Son père, qui l’a accompagné­e au meeting, glisse alors : « Moi, ma femme, elle pense comme moi. » Autre époque, autres moeurs.

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Grégory, qui souhaite devenir policier, a voté Le Pen après « beaucoup d’hésitation­s ».
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