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Comment, la semaine prochaine, François Hollande quittera-t-il le palais qu’il a habité pendant cinq ans : avec soulagement, amertume, nostalgie ? Tout au long d’une journée, “l’Obs” a recueilli les confidences du chef de l’Etat. Exclusif
En ce mardi 11 avril, le soleil brille sur l’Elysée comme un louis d’or. On pourrait croire que Météo France bat sa coulpe et entreprend, au dernier instant, de se faire pardonner. Depuis cinq ans, elle a été si cinglante et regardante avec François Hollande. « C’est vrai, il fait anormalement beau, mais j’attends quand même le dernier jour pour y voir un signe du ciel », me confie, un rien sceptique, le chef de l’Etat, dans le jardin du palais qu’il va bientôt quitter et où il était arrivé, il y a cinq ans, après avoir remonté les Champs-Elysées sous une grêle hivernale. « Ce n’était que le début de la dégelée, mais, vous savez, je ne déteste pas la pluie. Elle ajoute aux sentiments. Quand les cérémonies sont tristes, il faut que le ciel pleure avec nous. Le crachin, c’est du chagrin. Et le beau temps peut être très cruel. Je n’ai jamais oublié que, le 21 avril 2002, lorsque Jospin a été éliminé, il faisait un temps splendide. »
On déjeune dehors, sous un parasol blanc, devant la grande pelouse dont les courbes féminines évoquent le parc d’un vieux palace lémanique figé au bord du lac. Il y a dans l’air comme un parfum de vacances, et de vacance. François Hollande a d’ailleurs le teint hâlé, un peu trompeur. Deux heures plus tôt, une maquilleuse lui a fait, dans son bureau, une mine
d’aoûtien. Voulait-elle dissimuler la mélancolie du monarque qui s’en va après avoir abdiqué ? « Détrompez-vous, j’ai des regrets : ne pas avoir mieux convaincu ni davantage rassemblé, mais je n’éprouve aucune mélancolie à l’idée de quitter cette maison, dont je ne suis que le locataire provisoire. Cinq années de plus, cela aurait été encore cinq années d’intranquillité permanente, de privation de vie personnelle et de liberté. Etre ici, c’est un don total de soi, un sacerdoce. D’autant plus que, pour des raisons de sécurité, renforcée après les attentats, je vis jour et nuit à l’Elysée. Et l’Elysée ne peut pas être un chez-soi. » Depuis la table ronde, où défilent les mets fins du chef Guillaume Gomez, on observe les haies de buis sous les platanes bicentenaires de la duchesse de Bourbon et on suggère qu’il y a, somme toute, prison moins dorée et plus humide. « J’en conviens, mais c’est plus agréable de vivre avec ses meubles, ses livres, ses disques, dans son propre appartement. Et puis, ajoute-t-il en souriant, il existe d’autres terrasses dans Paris, d’où on peut au moins voir passer les gens. Avouez que ça n’est pas très peuplé, ici… »
C’est vrai que, depuis quelques semaines, le château s’est vidé. On dirait un musée, jour de fermeture. Le vestibule d’honneur, pavé de marbre blanc et rouge, semble regretter son faste. Les gardes républicains s’ennuient et se demandent qui, bientôt, ils vont devoir garder. C’est que la cour a commencé à s’égailler au lendemain du 1er décembre, lorsque François Hollande a décidé de ne pas prétendre à un deuxième règne. Autour de lui ne restent que les plus fidèles grognards, à peine une demidouzaine de conseillers, en tenue décontractée, la plupart macroniens. On les a rencontrés, le matin, dans leurs bureaux de l’aile est, traversée par des couloirs moquettés qui sentent le vieux et espèrent une nouvelle shampouineuse.
“HOLLANDE EST D’UNE COMPLEXITÉ EXTRÊME”
Outre le secrétaire général Jean-Pierre Jouyet et le directeur de cabinet JeanPierre Hugues, il y a le vibrionnant communicant Gaspard Gantzer, 37 ans. Cet énarque du troisième type, toupet de Tintin sur front de Harry Potter, se flatte d’organiser « le dernier tour de chant de l’artiste élyséen », très longtemps conspué et boudé, dont les ultimes déplacements en régions provoqueraient, dit-il, des émeutes d’affection et de gratitude, sous un soleil équanime. Comme si la France applaudissait un clone socialiste du retraité Chirac. Gantzer tient que « Hollande, après s’être longtemps retenu, est devenu totalement lui-même : il est enfin l’homme que les gens ont fait président ». C’est un peu tard, mais bon. Le jeune impresario jure n’avoir rien prévu pour lui-même lorsque sa vedette quittera la scène. Rien, sinon de longs congés, de grandes lectures et beaucoup de temps consacré à ses enfants. Il y a aussi le conseiller diplomatique Jacques Audibert, 56 ans, ancien directeur général au Quai-d’Orsay, qu’Alain Juppé, bienveillant, avait « autorisé à briefer », avant la présidentielle, le candidat François Hollande, dont il ne cesse de louer les vertus de « diplomate né » : « Je n’ai jamais senti une telle qualité d’écoute et un tel respect de l’autre. » Lui a choisi, au lendemain du 14 mai, de rejoindre le privé pour entrer chez Suez. Enfin, il y a le professeur Olivier Lyon-Caen, 70 ans, grand neurologue de la Salpêtrière, ancien conseiller santé du Premier ministre Lionel Jospin, qui est arrivé à l’Elysée dès le début du quinquennat : « La médecine avait été maltraitée, le président m’a demandé de la soigner, j’ai répondu oui. » Il a aimé travailler ici, il est fier d’avoir fait progresser, « avec sérénité », le lourd dossier de la fin de vie, même s’il concède avoir, au sommet de l’Etat, pris conscience « des limites du pouvoir politique, de son inertie, et des nombreux grippages dans le fonctionnement de la démocratie ». Mais il ne tarit pas d’éloges sur François Hollande, un homme « d’une complexité extrême », dont même le principal défaut, l’inaptitude à la composition et à la pédagogie, serait une qualité : « Il n’a jamais été meilleur que dans les moments où, protecteur de la nation et chef des armées, il pouvait décider seul. » A peine le neurologue éprouve-t-il un pincement au coeur à l’idée de devoir bientôt abandonner son bureau, dont la fenêtre donne sur la rue du Faubourg-Saint-Honoré. « Je cesserai de venir à l’Elysée comme
“JE N’ÉPROUVE AUCUNE MÉLANCOLIE À L’IDÉE DE QUITTER CETTE MAISON, DONT JE NE SUIS QUE LE LOCATAIRE PROVISOIRE.”
j’ai cessé d’aller à l’hôpital et comme j’ai arrêté de fumer, sans état d’âme, dit-il en aspirant une bouffée couleur pétrole de sa cigarette électronique. La nostalgie, c’est en décembre dernier que je l’ai éprouvée, le jour où le président a déclaré forfait. Maintenant, c’est fini. »
“JE SUIS À DEUX DOIGTS D’ÊTRE AIMÉ”
Au déjeuner, au moment du dessert chocolaté, lorsqu’on raconte à François Hollande notre visite matinale des bureaux de son palais et qu’on lui rapporte les propos de ses derniers conseillers, il feint de faire la moue. « Audibert dit de moi que je suis un diplomate né ? Pas sûr que ce soit un compliment. LyonCaen regrette que je ne me sois pas présenté ? Pas moi. Je regrette seulement que les conditions n’aient pas été réunies pour que je puisse le faire, d’autant que j’ai toujours pensé que cette élection était gagnable parce que, oui, la droite était faible. Gaspard vous a parlé de l’accueil merveilleux que je reçois désormais en province ? C’est vrai. Mais il faut relativiser, ajoute-t-il en avalant sa ganache. Je reconnais que j’ai été un président impopulaire, mais, enfin, je n’ai pas été haï. Mitterrand a pu être impopulaire et haï. Sarkozy a pu être populaire et haï. Moi, j’ai été très tôt impopulaire, et cela m’a atteint, contrairement à ce que l’on prétend, mais cela ne m’a jamais empêché de gouverner et, surtout, je n’ai pas senti de grande hostilité contre moi, sauf à la période du Mariage pour tous. Aujourd’hui, je suis à deux doigts d’être aimé ! » [Rires.]
On constate que, dans ce jardin printanier où les oiseaux se croient enfin autorisés à persifler, le président sortant a plutôt le spleen gai. Il avoue qu’il s’est beaucoup retenu : « Maintenant, j’en profite. » L’humour est, pour lui, la forme suprême de l’élégance. Il en crédite Mitterrand et Chirac, mais juge que Sarkozy en manquait singulièrement et s’étonne qu’Obama en ait eu autant en public, si peu en privé – « Il est charmant, mais très ennuyeux ». Et il regrette de n’avoir pas répondu à « l’Obs », qui avait titré, dès août 2012, « Pourquoi sont-ils si nuls ? » : « Mais comment vous en êtes-vous aperçus si vite ? » D’ailleurs, s’il avait perdu son humour, il aurait cessé d’être un président normal. Quand on lui reproche d’avoir abusé de cet oxymore, il réplique : « C’est parce que sa fonction n’est pas normale que le président doit sans répit tendre à l’être. J’ai tout de suite compris que les Français étaient nostalgiques de Mitterrand, qu’ils voulaient un prince mystérieux, silencieux et inatteignable. Mais ce n’est pas mon genre et ce n’est pas mon époque. » Et quand, autre reproche, on lui demande pourquoi il n’a pas respecté toutes les belles intentions de sa fameuse anaphore, « Moi, président », il s’étonne : « Franchement, à l’exception de ma vie privée et de la fâcheuse histoire Cahuzac, que j’aurais préféré éviter, je n’ai rien à retrancher. Je pars sans que mon honnêteté ait été prise en défaut. Et sans m’être enrichi. En ayant toujours veillé à ne rien montrer de mes fêlures, de mes blessures. Question de pudeur. »
Le déjeuner se prolonge sous un soleil royal, qui s’obstine. On entend à peine,
au loin, derrière la haute grille du coq, les rumeurs de la ville moderne. Lorsqu’on lui demande ce qu’il retient de son mandat, le regard de François Hollande fixe la cime des arbres aux très longues branches gaulliennes. Et d’une voix soudain grave : « La mort, la mort, la mort, tout le temps la mort. Celle des innocents, des policiers, des militaires. La mort sans cesse répétée. » L’Elysée fut son empyrée. Le quitter dans quelques jours, c’est aussi revenir à la vie. Se désencombrer. S’alléger. Respirer. Ouf.
“JE NE RENONCE À RIEN”
A l’exception des bureaux – les services de l’Etat lui ont proposé ceux qu’occupait Jacques Chirac, rue de Lille, il leur a préféré des locaux situés rue de Rivoli, juste audessus de la maison Angelina, où les éclairs au chocolat sont si goûteux – et de la création d’une fondation consacrée à l’innovation sociale, le futur ancien président prétend n’avoir rien décidé. « Jusqu’au 8 mai, je refuse de me projeter dans l’avenir. » Il sait seulement ce qu’il ne veut pas faire : exercer une activité privée, une charge politique locale ou une responsabilité à l’échelon européen. Ecrire un livre ? « Oui, forcément. Il y a eu trop de livres indirects, dont “le Monde” a récemment affirmé que trois d’entre eux m’avaient tué [ceux de Trierweiler, d’Aquilino Morelle et de DavetLhomme, NDLR]. C’est exagéré. Mais je me dois d’expliquer, dans un livre direct, ce que je n’ai sans doute pas assez expliqué. » Il dit aussi que, contrairement à Mitterrand et à Chirac à l’instant de leurs adieux élyséens, lui est encore en bonne santé et à un âge où tout est possible. Il prend bien garde de ne pas mentir, il ne veut pas ressembler à Nicolas Sarkozy, qui deux fois jura se retirer de la vie politique, en 2012 et 2016, pour mieux se parjurer. « Moi, contrairement à lui, je ne renonce à rien. Ce n’est pas la fin de ma vie, c’est le début d’une nouvelle... »
Cet après-midi du 11 avril, François Hollande n’a que deux brefs rendez-vous inscrits à son agenda : avec Michel Sapin, le ministre de l’Economie et des Finances, et avec le chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers. Rien d’épuisant. L’occasion, peut-être, de relire, sur la pelouse, quelquesunes de ces « Lettres » de François Mitterrand à Anne Pingeot, qui l’ont « bouleversé », où il voit « un document historique passionnant » et la preuve que, en amour, les hommes sont toujours « lâches et duplices ». Dehors, il pleut du pollen et des acariens. Le palais de François 2 a un air de sous-préfecture, un jour de marché. Il faut attendre le soir pour qu’il retrouve sa splendeur régalienne. Un dîner d’Etat est en effet donné en l’honneur du président de la République de Guinée, Alpha Condé. « J’avais souhaité, m’explique François Hollande, que ma première rencontre ici fût pour un chef d’Etat africain, c’était le président du Bénin, Boni Yayi, grâce à qui nous avons obtenu une couverture légale pour notre intervention au Mali. Symboliquement, j’ai voulu que le dernier de ma présidence fût pour un Africain, c’est Alpha Condé, qui préside depuis janvier l’Union africaine. » La salle des fêtes se la joue Versailles. Autour de la longue table d’honneur sont disposées en corolle de petites tables rondes aux noms de fleurs, crocus, edelweiss, iris, gentiane, pavot ou colchique, mais pas trace de rose socialiste. Les invités, de Borloo à Ayrault, de Kouchner à Fabius, de Baylet à Le Foll et Le Drian, d’Anne Lauvergeon à Ségolène Royal, figurent le portrait de groupe d’une ultime et illusoire union nationale. Dans une loge surélevée, l’orchestre à cordes de la Garde républicaine en grand uniforme accompagne, avec du Purcell, du Vivaldi, mais aussi « Ragtime » de Scott Joplin et « la Javanaise » de Serge Gainsbourg, le virevoltant ballet des aspics de homard breton, des dômes de loup de Méditerranée-Riviera et des entremets grand cru… chocolat.
A la fin du dîner, le musicien et griot Mory Kanté, tout de blanc vêtu, rejoint avec sa kora les violons du lieutenant-colonel Sébastien Billard et laisse ensuite sa place au rappeur Black M, alias Alpha Diallo, dont le concert prévu pour le centenaire de la bataille de Verdun avait été annulé, sous la pression de l’extrême droite, en mai dernier. François Hollande, qui ne s’avouait pas vaincu, a donc proposé au jeune FrancoGuinéen de Sexion d’Assaut de venir rythmer, sous les ors et les lustres, la soirée offerte à Son Excellence Alpha Condé. C’est alors qu’on a vu le chef de l’Etat bousculer le protocole et quitter, son portable à la main, la table d’honneur. Il a entraîné dans sa suite des ministres en transe (même Marisol Touraine se trémoussait, c’est dire), des diplomates en folie, et a photographié sous tous les angles, tel un simple groupie, un Black M survolté. Au bout de cette nuit africano-élyséenne, on le sentait soudain pressé de quitter le costume présidentiel, qu’il n’avait jamais aimé vraiment porter, qui l’endimanchait toujours un peu, mais qui avait fini, avec le temps et l’adversité, par lui aller plutôt bien.
“J’AI VOULU QUE LE DERNIER DÎNER DE MA PRÉSIDENCE FÛT POUR UN CHEF D’ÉTAT AFRICAIN.”