“LE PRÉSIDENT DOIT PRENDRE LE TEMPS DU DIALOGUE”
Emmanuel Macron veut décentraliser le dialogue social au niveau de l’entreprise. Ouvert à cette réforme du Code du Travail, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, pose des conditions
Emmanuel Macron a besoin des syndicats réformistes pour dérouler son projet. Avez-vous le sentiment d’être l’homme-clé de ce début de quinquennat ?
Je ne suis pas plus l’homme-clé de ce début de quinquennat que je n’étais le ministre du Travail du précédent ! Ce qui intéresse la CFDT, c’est le fond des sujets pour les salariés. Le nouveau président est tout juste investi et nous sommes déjà sommés de nous positionner sur sa politique. Pourquoi pas sur son bilan tant qu’on y est ? Moi, je dis : laissons-le former son gouvernement. La CFDT n’est ni un opposant de principe ni un allié.
N’avez-vous pas peur d’être un peu seul face à lui, notamment dans la discussion sur le Code du Travail ?
Je souhaite que de nombreuses autres organisations sortent du jeu des postures et examinent les projets qui seront avancés : certains peuvent être positifs, d’autres non. Un président a été élu. Il faut respecter ce choix démocratique et le laisser préciser ses ambitions. Mais nous l’appelons à ne pas agir dans la précipitation. Et à garder à l’esprit que beaucoup de gens n’ont pas voté pour lui par adhésion, mais pour repousser le risque du FN. C’était le sens de l’appel de la CFDT. Il doit aussi entendre que la société ne va pas bien, qu’il y a des territoires abandonnés, avec des gens qui, sans être forcément pauvres, ont le sentiment qu’on ne s’occupe plus d’eux, parce que les services publics se sont éloignés, que les industries ont disparu, que les transports sont compliqués.
Connaissez-vous Edouard Philippe, le Premier ministre ?
Pas du tout. Dans les entreprises, nous ne choisissons pas notre direction. Au gouvernement, nous faisons aussi avec ceux qui sont en place. J'espère qu'il sera à l'écoute et nous recevra rapidement. Nous lui remettrons un dossier d'une cinquantaine de pages, avec des propositions, autour de trois thèmes : investir pour créer les emplois de demain, investir dans l'émancipation des personnes et faire du dialogue social le levier privilégié du changement.
Sur le projet de réforme du Code du Travail, qu’est-ce qui vous agace le plus ? La méthode ou le fond ?
Sur le fond, nous avons des désaccords. Nous sommes contre la « barémisation » des indemnités aux prud’hommes, par exemple. Pour ce qui est de la volonté de favoriser la négociation en entreprise, nous y sommes favorables à condition qu’elle permette de discuter de nouveaux droits concrets, au plus près des besoins des salariés. Pour cela, nous avons besoin d’un socle de droits élevé dans le Code du Travail, d’un encadrement de la négociation extrêmement fort et d’une présence syndicale réaffirmée. Il n'est pas question, par exemple, de faire par la négociation en entreprise des entorses à l'ordre public social : le smic, les règles de sécurité au travail, etc. Sur la méthode, c’est surtout un sujet qu’Emmanuel Macron doit régler avec le Parlement. Quant au calendrier annoncé pour régler autant de sujets différents, il me paraît intenable.
Emmanuel Macron semble estimer que le dialogue a eu lieu lors de la préparation des lois Macron, Rebsamen, El Khomri, ou autour des rapports Combrexelle ou Barthélémy et Cette…
Tous les spécialistes des relations sociales, dont certains que vous avez cités, vous diront qu’il est impossible de boucler de façon sereine et intelligente une telle réforme en deux ou trois mois. Nous
n’avons pas encore évalué l’impact des précédentes lois. Commençons par cela ! La loi Macron par exemple a fixé un barème indicatif pour les prud’hommes et pousse à la conciliation. Cela a-t-il été efficace ? Il me semble que oui. Plus fondamentalement, en quoi une réforme rapide du Code du Travail serait-elle de nature à créer de l’emploi ? C’est en tout cas la conviction profonde du président… Pour moi, la baisse du chômage viendra de la formation, de l’élévation des compétences, de la montée en qualité de notre modèle productif et donc de l’investissement – dans la transition écologique et dans les besoins sociaux : petite enfance, dépendance, handicap… La lutte contre le chômage passe aussi par une relance au niveau européen. Si l'idée était de se doter d’un Code du Travail le moins protecteur possible, qui s’appliquerait en l’absence d’accord négocié dans l’entreprise, ce serait « niet » pour la CFDT.
Emmanuel Macron met en avant le rapport Combrexelle – que la CFDT a soutenu –, mais encore faut-il lire tout le rapport. La première partie, dont hélas personne ne parle, porte sur la culture du dialogue social. Et les autres parties portent sur les nouvelles compétences à ouvrir à la négociation collective dans l’entreprise, comme la responsabilité sociale de l'entreprise. Parlons-en, l’enjeu est très fort : comment traite-t-on les sous-traitants, les salariés, les territoires, etc. Mais les patrons sont-ils aujourd’hui prêts à accepter un vrai renforcement de la présence syndicale dans les entreprises ? A associer les représentants du personnel aux décisions et aux réflexions stratégiques ? C'est de cela dont je veux parler avec les organisations patronales avant de discuter plus avant. Pourquoi n’irait-on pas vers de la codécision ? Emmanuel Macron juge que les syndicats ne sont pas les détenteurs de l’intérêt général, que leur place est davantage au niveau de l’entreprise qu’au niveau national… Qu’en pensez-vous ? Nous ne sommes pas détenteurs de l’intérêt général, mais nous y contribuons. Pour définir l'intérêt général, le pouvoir politique a besoin de la confrontation de visions différentes. Comme le dit Pierre Rosanvallon, le peuple n’est pas seulement un « peuple électoral ». Dans un monde devenu plus horizontal, plus rapide, il faut articuler la démocratie politique et la démocratie sociale, la démocratie participative et la démocratie représentative. Si Emmanuel Macron juge que les syndicats ne sont là que pour défendre des intérêts particuliers, je lui souhaite bien du courage pour faire avancer des réformes. On s’en est expliqué, je pense qu’il a entendu.
Emmanuel Macron veut également mettre fin au « paritarisme » pour la gestion de l’assurance-chômage…
Sur l’assurance-chômage, il a d’abord dit qu’il fallait tout nationaliser. Puis il a parlé d’une approche tripartite. Pourquoi pas ? L’Etat est déjà dans le système de façon non assumée. Il le sera davantage si le président vise une forme d'universalisation de l'assurance-chômage. Dans ce cadre, nous sommes ouverts à la discussion. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le paritarisme pour le paritarisme, c'est l'efficacité au service des salariés et des chômeurs. Emmanuel Macron remet aussi en question le rôle des syndicats dans la formation professionnelle. C’est négociable? Il y a déjà eu une réforme en 2013. Et les partenaires sociaux ont fait la démonstration qu’ils étaient capables de se mobiliser en mettant en oeuvre le plan de formation des chômeurs (500 000 puis 1 million). Regardons ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas ! Est-ce une question de financement des syndicats ? Plus du tout. Depuis 2014, les syndicats sont financés par un prélèvement sur les entreprises, géré par l’AGFPN, une association contrôlée, transparente et paritaire, qui n’a rien à voir avec la formation. Est-ce qu’Emmanuel Macron vous a demandé des propositions pour renforcer le Compte personnel d’Activité ? Pas encore. Mais c’est un bon sujet. La CFDT propose de compléter le CPA avec un accompagnement personnalisé, une banque du temps – la possibilité de capitaliser du temps tout au long de sa carrière pour l'utiliser pour des projets personnels ou de reconversion –, des aides à la mobilité... Ces droits doivent s’inscrire dans un cadre collectif, mais être attachés à la personne. Il faut réinventer la protection sociale autour de l’idée de la sécurisation des parcours professionnels. L’ère qui s’ouvre peut-elle être une ère de régénération du dialogue social ? Oui, si chacun joue le jeu, notamment le patronat. Ce dernier a deux options aujourd’hui : soit il repart dans une logique de lobbying, de plaintes, soit il comprend qu’il doit dialoguer avec les organisations syndicales. Nous sommes entrés dans une période totalement nouvelle, puisque la CFDT est la première organisation syndicale dans le privé. C’est historique. Le gouvernement, lui, doit donner l’exemple : veut-il travailler avec les corps intermédiaires, avec les citoyens ? Ou veut-il, au prétexte de l’urgence, s’abandonner à la doxa de la recherche économique académique et décider de la vie des gens sans les consulter? Cette deuxième voie serait une impasse.
“POURQUOI N’IRAIT-ON PAS VERS DE LA CODÉCISION DANS L’ENTREPRISE?” LAURENT BERGER