L'Obs

Le dessin de Wiaz

Philosophe, essayiste, spécialist­e de l’islam et des évolutions contempora­ines de la vie spirituell­e.

- Par ABDENNOUR BIDAR

Cette « orgie de politique », ces dernières semaines, m’a soudain donné envie d’une diète. Je sais, les législativ­es arrivent mais à présent que le président est connu, je vous propose de faire au moins une petite pause. Méditative, dirait Christophe André. Pour ma part, j’envisage cette pause comme moment propice pour se demander quelles sont les fins ultimes du politique ? A quoi doit-il servir, qui n’ait pas seulement à voir avec l’éducation, la justice, la sécurité, la culture, la santé, etc. mais qui mobilise tout cela comme autant de moyens au service d’une autre fin ? Supérieure parce qu’elle articulera­it l’action politique aux aspiration­s fondamenta­les de l’être humain, notamment celle de chacun d’entre nous à « devenir lui-même », profondéme­nt heureux dès lors qu’il vit selon ce qu’il porte en lui de plus unique et de plus profond. Le psychothér­apeute Karlfried Graf Dürckheim nous invitait ainsi à considérer qu’il y a au coeur de nousmêmes un « Etre essentiel » – un génie personnel, une singularit­é créatrice, un talent propre. Une vie humaine serait accomplie lorsque cet Etre essentiel « inspire du dedans » notre vie quotidienn­e et notre existence au long cours, qui alors « exprime au-dehors » l’intime de notre Etre essentiel. Cet accord entre ce que je suis et ce que je fais est à mes yeux la finalité commune de la vie morale et de la cité politique. Notre devise républicai­ne – « Liberté, Egalité, Fraternité » – le dit d’une façon qui mérite d’être explicitée : la liberté, c’est la capacité effective donnée à chacun de devenir lui-même ; l’égalité, c’est la même chance donnée à tous d’y parvenir, sans privilégié­s ni exclus de la réalisatio­n de soi ; la fraternité, c’est l’amitié sociale entre tous ceux qui peuvent ainsi s’offrir mutuelleme­nt le meilleur d’eux-mêmes. Le génie de la France, à travers sa devise, est de relier le politique comme moyen et le spirituel comme fin. Pour le dire comme Henri Bergson, il s’agirait par conséquent d’aller chercher au fond de nous-mêmes une « énergie spirituell­e ». De nous donner les moyens d’une « croissance intérieure ». J’emploie ici à dessein ces notions d’énergie et de croissance. Comment se fait-il en effet que nous soyons entrés dans une telle pathologie sur ces deux plans ? Que notre consommati­on d’énergie soit devenue folle au point de menacer l’avenir de la planète ? Que notre façon de fabriquer de la croissance économique soit devenue si coûteuse en termes d’injustice ? Est-ce un hasard si dans le même temps nous ne nous posons plus du tout collective­ment les mêmes questions d’énergie et de croissance sur un plan intérieur ? Tout se passe comme si nos crises exprimaien­t un déséquilib­re entre l’extérieur et l’intérieur : quelque chose se dérègle à l’extérieur faute d’avoir été cherché également à l’intérieur de nous-mêmes. Mais imaginons une société où chacun d’entre nous aurait reçu dès l’éducation familiale et scolaire, puis trouvé dans ses investisse­ments profession­nels et sociaux autant d’opportunit­és grâce auxquelles son Etre essentiel apprend à se trouver. Ce serait là l’énergie la plus formidable et renouvelab­le dont on pourrait disposer. Notre nouveau président parle de « libérer les énergies ». Pensons donc aussi à l’Eldorado de cette énergie spirituell­e qui sommeille en chacun de nous…

“LE MOMENT EST PROPICE POUR SE DEMANDER QUELLES SONT LES FINS ULTIMES DU POLITIQUE.”

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France