Passé/présent De la Nouvelle-France au Canada
La Confédération canadienne fête ses 150 ans. L’occasion de réviser son histoire, intimement liée à celle de notre pays
Vous penserez à sortir vos feuilles d’érable, votre uniforme de la police montée ou, à défaut, vos disques de Justin Bieber. Le 1er juillet, le Canada commémorera un moment particulier de son histoire : sa naissance, il y a 150 ans, lorsqu’en 1867, donc, les diverses colonies britanniques qui le composaient décidèrent de s’unir dans la Confédération canadienne, premier dominion de la Couronne britannique (voir ci-contre). Un nouveau pays était né. L’occasion est rêvée de rappeler l’histoire, méconnue, de sa formation.
Il faut, pour la comprendre, se replacer au tout début du xviiie siècle. L’Amérique du Nord est alors grignotée par trois puissances européennes. Le Sud, depuis les conquistadors, appartient aux Espagnols. Le Nord-Est est partagé entre les deux grands rivaux de l’époque, les Français et les Britanniques. Les premiers y ont l’empire le plus vaste. Derrière Jacques Cartier, qui, au début du xvie siècle, ayant remonté le Saint-Laurent, avait déclaré prendre possession, au nom du roi de France, de cette terre baptisée Canada d’après un mot amérindien, maints explorateurs, s’aventurant en tous sens, avaient su faire grossir cette pelote. Vers 1700, la Nouvelle-France, comme on nomme les possessions royales d’Amérique du Nord, forme un immense triangle qui va de l’embouchure du Saint-Laurent jusqu’à La Nouvelle-Orléans. Elle se partage en trois colonies : l’Acadie (la pointe est du Canada actuel, où sont le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Ecosse), le Canada lui-même (actuelle province de Québec) et, descendant tout le long du Mississippi jusqu’au golfe du Mexique, la Louisiane. Seulement, le géant est fragile. Malgré les efforts pour y faire venir des colons, comme ceux déployés par Champlain (1567-1635), fondateur de la ville de Québec, ces grandes étendues restent un paradis pour les trappeurs, mais sont presque vides d’habitants. Sur le papier, le territoire tenu par les Anglais est moins impressionnant. A part les vastes terres tout au nord exploitées par la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui ne servent qu’au trafic de fourrure,
l’implantation britannique tient dans la dizaine de colonies serrées le long de la côte Atlantique. Du Massachusetts, fondé par des puritains fuyant les persécutions religieuses, à la Géorgie, créée par des aristocrates qui veulent s’enrichir avec les plantations de tabac, toutes ces communautés ont une histoire différente. Et aussi un intérêt commun : réussir à chasser les Français pour s’étendre. Deux guerres auxquelles participent les deux puissances rivales vont suffire. Leurs intérêts sont européens, mais leurs conséquences se font sentir jusqu’au-delà des eaux. Ainsi, le traité d’Utrecht (1713), qui conclut la guerre de la Succession d’Espagne, prévoit, entre autres marchandages, la cession de l’Acadie à l’Angleterre. Ensuite, il y a la guerre de Sept-Ans (1756-1763), une autre sombre querelle du Vieux Monde, si essentielle pour le Nouveau qu’on l’appelle ici autrement. Les Américains la nomment « la Guerre franco-indienne », ce qui est une façon de rappeler que la majeure partie des combats que se livrèrent les ennemis furent le fait de leurs alliés autochtones, Hurons, Algonquiens, Iroquois. Les Canadiens l’appellent « la guerre de la Conquête » pour une raison facile à comprendre. A son issue, le Canada français n’est plus.
Un an avant la fin du conflit, pour tenter de protéger la Louisiane, Louis XV l’avait secrètement cédée aux Espagnols (1). Il a moins d’égard pour les « quelques arpents de neige » dont Voltaire se moque : en 1763, Montréal, Québec, et toute la Belle Province, avec les francophones catholiques qui la peuplent, deviennent anglais. Le roi d’Angleterre peut se réjouir. Désormais, outre-Atlantique, tout lui appartient ou presque. Le triomphe est de courte durée.
Dans les années 1770-1780, la guerre d’Indépendance américaine rebat les cartes. Alors que les 13 colonies de la côte s’unissent pour chasser les maîtres anglais, les loyalistes, fidèles au roi, se ruent de l’autre côté des grands lacs, pour faire de ces terres leur bastion. Les Etats-Unis d’Amérique, ce pays qui vient de se former à leur frontière, vont-ils le tolérer ? Pour les premiers dirigeants américains, l’annexion est une évidence. Ils la tentent d’ailleurs par les armes, dès 1812, lors de la guerre que le pays déclare à la vieille Angleterre pour protester contre le blocus maritime de l’Europe napoléonienne qui l’empêche de commercer avec le Vieux Continent. La jeune République était présomptueuse. Contre toute attente, les Canadiens ont bravement repoussé l’invasion et entendent désormais défendre leur indépendance. C’est aussi dans ce but qu’en 1867, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Ecosse, et le vaste ensemble alors appelé « le Canada-Uni », s’unissent dans la Confédération canadienne. En superficie, celle-ci est infiniment plus petite que le géant d’aujourd’hui. L’histoire que nous venons de rappeler lui a toutefois donné les trois caractéristiques qui sont toujours les siennes : sa souche française, sa fidélité à la Couronne britannique et son encombrant voisin. (1) Ils la rendent à Bonaparte en 1803 qui, aussitôt, la vend aux Etats-Unis.