EUROPE, LE DISCOURS DE LA MÉTHODE
Emmanuel Macron n’est ni Dieu ni l’Antéchrist, et je ne suis guère croyant en la matière. Si les courtisans qui se livrent à un concours de courbettes dans les antichambres de l’Elysée sont d’un ridicule achevé, ceux qui s’entichent de l’ultra-conservatrice Première ministre polonaise simplement parce qu’elle attaque Macron sont tout aussi pitoyables. Une légère touche de cet « athéisme en politique » qu’évoquait Stendhal n’est pas inutile en ces temps de pensée binaire.
Aussi, immense privilège de celui qui n’est encarté nulle part et a juré fidélité à des idées plutôt qu’à des hommes ou des partis, lorsque le président prend une initiative salutaire sur un sujet à mes yeux crucial, je n’ai aucun problème à l’écrire. C’est ce qu’il fit à Athènes la semaine dernière, en prononçant un véritable discours de la méthode pour une relance de l’Union européenne. Il trouva des mots, pour parler d’Europe, que l’on n’avait pas entendus depuis longtemps dans la bouche d’un dirigeant français, ces mots qui manquèrent tant à Nicolas Sarkozy et à François Hollande au coeur de la crise. Et il proposa des avancées que l’amoureux frustré du projet européen que je suis ne peut qu’embrasser et soutenir.
La première idée forte de ce discours est simple : il ne faut pas laisser le monopole de la critique de l’UE telle qu’elle fonctionne (ou ne fonctionne pas) à ceux qui veulent la détruire. Oui, l’Europe des gestionnaires a largement échoué. Oui, la stratégie des petits pas sans autre vision que les chiffres des déficits publics a conduit à une impasse tragique. Oui, les élites européennes ont cru pouvoir faire sans, ou même contre, les peuples. Oui, il y a un problème démocratique au sein de l’UE. Oui, il est aberrant d’avoir une monnaie commune sans gouvernement commun. Il fallait qu’un partisan de l’Europe le dise. Et il fallait qu’il le dise en Grèce, le berceau de notre civilisation et le pays qui souffrit le plus de cette dérive postpolitique d’une Union d’experts-comptables à mille lieues du vieux rêve hugolien auquel je ne renoncerai jamais.
L’Europe meurt d’une absence sidérante de débat public à l’échelle du continent sur ses orientations, son avenir, son horizon. Nous passons les frontières sans contrôle, nous payons avec les mêmes billets à Rome, Paris ou Tallinn, nous sommes à une heure d’avion ou à deux clics les uns des autres, mais le débat intellectuel ou politique est plus cloisonné, moins européen qu’il y a trois siècles, à l’époque des calèches et de la République européenne des Lettres. Les esprits chagrins pourront toujours dire que les conventions citoyennes proposées par Emmanuel Macron relèvent du gadget, elles vont pourtant dans le bon sens : celui d’une réappropriation par le public de ce qui jusque-là fut le bien privé des experts et des technocrates. Il faut sortir l’Europe des corridors de Bruxelles et la livrer à l’opinion, la placer au centre de l’agora. Il faut qu’on s’accorde, qu’on se dispute, qu’on s’écharpe sur l’Europe, en tant qu’Européens. Et, soit dit en passant, je préférerai toujours qu’un président français lance des assises civiques sur la réinvention d’une ambition cosmopolite que sur l’identité nationale.
Mais la proposition la plus forte d’Emmanuel Macron à Athènes dans ce sens, plus encore que la nécessaire formation d’un Parlement de la zone euro, est la constitution de listes transnationales pour les prochaines élections européennes. Certes, cela vaut uniquement pour les sièges laissés vacants par les députés britanniques, et certains parleront d’un petit pas. Mais ce petit pas implique un changement paradigmatique et pourrait devenir à terme un saut de géant. Il nous fait passer d’une logique internationale à une logique fédérale et porte en lui les germes d’une conscience politique européenne, donc d’un peuple européen se dotant souverainement de ses représentants sans la médiation de l’échelle nationale.
Jusqu’ici nos élections européennes étaient kidnappées par des enjeux franco-français, comme s’il s’agissait de scrutins intermédiaires lambda dont le rôle était de sanctionner ou de valider la politique d’un gouvernement. Privées de sens, elles servaient à recaser les losers de la scène politique, à droite comme à gauche. Quelle est la vision de l’Europe de la députée européenne Nadine Morano ? Cette question permet à elle seule de mesurer l’ampleur du mépris dans lequel les vieux appareils parisiens tenaient le Parlement de Bruxelles. Avec des listes transnationales, les débats lancés, les sujets abordés, les affrontements assumés seront d’emblée européens. Bref, nous avons une chance de connaître nos premières élections véritablement européennes en 2019.
S’il arrive à convaincre des conservateurs allemands a priori hostiles à ce changement et partisans d’un statu quo qui leur convient parfaitement, Emmanuel Macron aura déjà fait plus pour l’Europe que ses trois prédécesseurs réunis.