Clavel, nom de Dieu!
LE SOULÈVEMENT DE LA VIE, TEXTES CHOISIS ET PRÉSENTÉS PAR PHILIPPE ARTIÈRES, INA, 190 P., 20 EUROS.
Qui sait si Christine Angot, qu’on sait prompte, sur le petit écran, à tacler méchamment les invités et les laisser en plan pour aller s’enfermer dans sa loge, n’a pas pris modèle sur Maurice Clavel, icône du coup de théâtre? Elle avait en effet 12 ans, le 13 décembre 1971, lorsque le philosophe et chroniqueur du « Nouvel Observateur » lança en direct, sur la Première Chaîne de l’ORTF, son fameux et désormais mythologique « Messieurs les censeurs, bonsoir ! », avant de quitter le studio à la manière des grands tragédiens. L’émission, animée par Alain Duhamel et André Campana, s’appelait « A armes égales » et avait pour thème « Les moeurs : la société française est-elle coupable ? ». Le révolté gaullo-mao-catho y était confronté au père la pudeur et maire inflexible de Tours, Jean Royer. Avant la joute verbale, et afin de la lancer, Clavel avait présenté un court-métrage de douze minutes intitulé, beau programme, « le Soulèvement de la vie ». Il savait qu’une phrase de son commentaire avait été préalablement enlevée, dans laquelle il stigmatisait « l’aversion » qu’inspirait la Résistance française au président Pompidou, dont ce dernier avait fait part à un journal américain. Mais de voir son film amputé de cette séquence tournée au mont Valérien provoqua un tel « choc physique » à Clavel qu’il se leva, cria sa colère et s’esbigna.
Ce fut le premier clash de la télévision française, qui devait consacrer l’auteur furibond de « Dieu est Dieu, nom de Dieu ». Ce fut surtout l’occasion d’un débat public qui mit sens dessus dessous la société française post-68. On en mesure la violence en lisant une partie des milliers de lettres, pour la première fois rassemblées, que reçut Maurice Clavel au lendemain de son coup d’éclat. D’un côté, les détracteurs fulminent, le suspectent d’être à la solde de Mao et se désabonnent de son journal (« Messieurs les rédacteurs du “Nouvel Observateur”, adieu! »). De l’autre, les admirateurs l’applaudissent et lui adressent des « Bravo », des « Merci » et même des dessins d’enfants reconnaissants. La France de droite veut la peau du « nihiliste révolutionnaire », qu’elle accuse d’avoir déserté le champ de bataille cathodique. La France de gauche en fait son héros. Héros du combat contre « la télé d’Etat » qu’il faut, écrit une théologienne marxiste, « boycotter, sinon c’est collaborer », et contre, ajoute un universitaire lyonnais, « une société bourgeoise putrescente ». C’était il y a quarante-cinq ans. Est-ce si vieux que ça ?