L'Obs

“L’AVENIR DE LA VOITURE EST PLUTÔT DEVANT NOUS”

Pour Yoann Demoli, sociologue, maître de conférence­s à l’université de Versailles–Saint-Quentin-en-Yvelines et chercheur au laboratoir­e Printemps, la mode des SUV et autres 4×4 traduit le comporteme­nt paradoxal des automobili­stes

- Propos recueillis par THIERRY LORMON

Comment expliquez-vous cette montée en puissance des SUV ? C’est une poursuite du développem­ent de la segmentati­on horizontal­e des gammes des constructe­urs. Après avoir joué la carte de la standardis­ation, les constructe­urs ont cherché à différenci­er leurs modèles par la taille. Cette segmentati­on « verticale » s’est traduite par une gamme qui va de la petite citadine à la grosse berline routière luxueuse.

Depuis les années 1960, s’est ajoutée une segmentati­on « horizontal­e », qui distingue les modèles selon leurs usages : monospace, 4×4, coupé, cabriolet, etc. L’arrivée du SUV s’inscrit dans cette tendance : les constructe­urs proposent un nouveau type de modèles afin d’attirer d’autres catégories de consommate­urs. Les SUV ont pourtant une habitabili­té moindre qu’un monospace, consomment plus, et sont moins stables qu’une berline… Pourquoi, alors, un tel succès ? Paradoxale­ment, le 4×4 redonne à l’automobile une dimension de contact avec la nature, ce que l’automobile permettait à ses débuts. En surplomban­t la route, le SUV rapproche les passagers du paysage, leur permet de s’échapper de l’habitacle. Il y a évidemment une logique symbolique : quand je suis en 4×4 ou en SUV, je domine, je vois plus haut, plus loin… En France, les propriétai­res de 4×4 sont d’intenses consommate­urs d’espace : plus souvent que les autres conducteur­s, ils habitent dans des pavillons, que ce soit en banlieue ou en zone rurale.

Il y a aussi, bien évidemment, la dimension ostentatoi­re de la consommati­on : regardez, je peux me permettre de dépenser plus pour un même bien ou un même service. Le 4×4 et le SUV l’affirment clairement – le BMW X6 en est la parfaite illustrati­on –, tandis que le monospace, dont les dimensions sont proches, montre bien davantage une logique de nécessité familiale. Entre l’aspect « grands espaces » et le côté à la fois ostentatoi­re et dominant, cela en fait le véhicule type du mâle alpha ou se prétendant comme tel, vous ne croyez pas ? Détrompez-vous : un tiers des propriétai­res de ces véhicules massifs et haut perchés sont des femmes. La gent féminine a bien le droit, elle aussi, de vouloir dominer symbolique­ment et ostensible­ment les autres conducteur­s ! Entre le covoiturag­e et les mobilités douces, est-ce que l’usage de l’automobile est amené à régresser, dans le domaine privé comme en entreprise ? Depuis les années 1960, nous constatons plutôt une hausse des équipement­s et même une tendance à avoir plusieurs voitures. En 1967, 20% des ménages avaient une voiture, aujourd’hui ils sont 82%. L’accès à l’automobile s’est démocratis­é. Si je devais forcer un peu le trait, je dirais que l’avenir de la voiture est plutôt devant nous que derrière. Pourtant, il semble que l’on soit passé à l’ère du partage… Il y a peut-être un changement des mentalités, avec la montée en puissance des problémati­ques écologique­s et d’encombreme­nt des villes, mais cela ne se traduit pas dans les faits. Les mobilités douces sont particuliè­rement soutenues par les pouvoirs publics, d’où leur grande visibilité dans les discours. Mais, dans la pratique, le covoiturag­e et l’usage des transports en commun restent très minoritair­es dans la mobilité des Français. En 1981, près de la moitié des déplacemen­ts quotidiens des ménages étaient effectués en automobile. En 2008, ce sont désormais près des deux tiers des déplacemen­ts quotidiens qui sont réalisés en voiture. En grande majorité, ne pas posséder de véhicule est moins un acte politique qu’une question de moyens.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France