L'Obs

La mode pour tous

par Sophie Fontanel

- Par Sophie Fontanel

L’histoire que je vais vous raconter justifie à elle seule le slogan « le vêtement, c’est important », qui a présidé aux destinées de cette chronique. Il était une fois un pays, le Japon, qui ne connaissai­t pas le coton et ignorait tout de son extrême douceur, et qui découvrit au e siècle les deux en même temps. Ceux qui avaient de l’argent s’en firent des habits. Les nobles avaient le droit de les porter de toutes les couleurs, et les autres devaient se cantonner au bleu, au gris ou au marron. Le bleu indigo devint alors en vogue, il faisait quitter la terre, un peu. Sa teinte n’était pas facile à obtenir et le rituel de la teinture plaisait aux âmes férues de cérémonial. On portait ces habits bleus jusqu’à plus soif. Quand ils étaient usés, on s’en débarrassa­it. Des colporteur­s les coupaient en carrés et, à travers le pays, revendaien­t ces coupons, parfois grands comme la main, à des pauvres gens qui rapiéçaien­t leurs propres vêtements ou leurs couverture­s. Ces vêtements auxquels on ajoutait continuell­ement des pièces, telles des rustines, pouvaient traverser les génération­s. On appelle ces splendeurs Boro (littéralem­ent « guenilles », « haillons »). Certains sont exposés, jusqu’au 5 novembre, à l’espace La Frontiera à Paris. Il y a une trentaine d’années, on pouvait encore acquérir des Boro ; les sommes qu’ils atteignent aujourd’hui laissent sans voix. Sans voix, d’ailleurs, c’est faux : un chant s’élève devant la justice rendue à ces bleus qui devancent ce que sera un jour le jean. Drôle de penser que les Japonais, comme par hasard, sont pile ceux qui ont racheté à Levi’s ses vieilles machines à filer d’époque. Encore plus savoureux de penser que ces « guenilles » sont un jour entrées dans les musées, notamment via la donation Daniel Cordier. Les Boro ont filé droit vers la noblesse, eux de basse extraction. Et s’il y avait un prix Nobel du vêtement, il irait à ces nippes, ces Boro. C’est beau. Exposition « Boro, Threads of Life » à La Frontiera, 11, rue Jules-Chaplain, Paris-6e.

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