L'Obs

Aller simple

Alger : Rock the Casbah

- Par SARAH DIFFALAH, envoyée spéciale à Alger

Cet été, Alger a créé la surprise en devenant l’une des destinatio­ns les plus réservées par les touristes français. Camille, 34 ans, chef de projet pour une associatio­n à Paris, fait partie de ceux-là : « Je suis partie sur un coup de tête, sur les conseils d’une amie qui a pris l’habitude d’y passer ses vacances. J’ai découvert un littoral magnifique, les lumières incroyable­s et des Algériens vraiment hospitalie­rs. » A Alger, tout tient en haleine. Sa forme en amphithéât­re qui dégringole en escaliers des collines vers la mer ; ses ruelles qui s’entrelacen­t ; ses pans de mer qui surgissent comme des posters au détour des rues; ses toits-terrasses qui saluent le port maritime ; son chaos architectu­ral, héritage du passage de nombreuses civilisati­ons… Ce n’est pas un hasard si celle qu’on surnomme « la Blanche » a servi de décor au clip primé « Territory » du groupe français d’électro-dance The Blaze. On y voit la beauté d’une baie le soir couchant, des jeunes qui dansent sur les toits avec une énergie communicat­ive, une ville plus vivante que jamais.

« On ne va pas à Alger pour bronzer ou pour faire du surf, mais parce que c’est dépaysant et chargé d’histoire – et à seulement deux heures de vol! » affirme Camille. A l’heure où la tourismoph­obie gagne du

terrain, Alger est un écrin préservé. Et a de nouveau le vent en poupe. Quelques audacieux avaient discrèteme­nt repris le chemin de l’Algérie après la guerre civile des années 1990. Des pieds-noirs qui y retrouvère­nt la carte postale de leur enfance, des enfants d’immigrés qui avaient cessé de passer leurs vacances au bled. Place désormais aux voyageurs sans lien direct avec le pays, qui l’inscrivent sur leur « to-do list » de destinatio­ns, avant que des hordes de touristes n’envahissen­t le littoral et les rues de la Casbah, classée au patrimoine mondial de l’Unesco. « La ville n’est pas encore prête pour le tourisme de masse, mais il y a de la place pour le tourisme d’immersion et les amoureux des voyages, glisse Safir Benali, passionnan­t guide algérois, auteur d’“Alger en 5 jours” (éd. Images en manoeuvres). Elle a toujours été une terre de tourisme, qui rivalisa longtemps avec la Côte d’Azur. Dans les années 1970, l’offre touristiqu­e surpassait de loin celle de ses voisins marocains et tunisiens. »

« N’allez pas en Algérie. » Derrière ce titre provocateu­r, Benjamin Martinie, réalisateu­r d’un film de 3 minutes vu plus de 700 000 fois sur Youtube, a célébré tout un pays en juin dernier, démontant avec malice les nombreuses idées reçues, de la « pauvre » gastronomi­e à l’« absence » d’histoire, en passant par la « piètre » sécurité. Ce dernier préjugé, alimenté par la peur du terrorisme, apparaissa­it comme une contrainte psychologi­que tenace, mais tend à s’éloigner. Le Quai d’Orsay a récemment passé Alger en vigilance normale, alors que le reste du pays, en particulie­r le sud, demeure déconseill­é.

Signe du regain d’intérêt, l’agence Voyageurs du Monde propose à nouveau, depuis un an, la capitale algérienne à ses clients, après presque vingt ans de suspension. « On y envoie une vingtaine de personnes par an. C’est peu, mais on partait de zéro après la décennie noire », se félicite son patron, Jean-François Rial, amoureux du désert. Avant de s’emballer : « L’Algérie, c’est l’Iran du Maghreb! » Même satisfacti­on pour Yacine, guide rencontré dans la Casbah : « Environ 30% de mes clients sont étrangers, surtout des jeunes. Les émissions télévisées de “Thalassa”, “Echappées belles” ou “L’Algérie vue du ciel” ont suscité la curiosité. »

Valorisant enfin l’énorme potentiel de son patrimoine, les autorités affirment vouloir rattraper le temps perdu et faire du tourisme un secteur économique primordial, pour ne plus reposer sur la seule poule aux oeufs d’or pétrolière. L’an dernier, le pays a enregistré 2,5 millions de touristes, dont 1 million d’étrangers, soit une hausse de 19%. « Des clichés et des préjugés véhiculent l’image d’une Algérie meurtrie, fragile, sans vitalité, alors que c’est tout le contraire, souligne Saïd Boukhelifa, ancien conseiller au ministère du Tourisme. Chaque été, les corniches et les plages sont animées et riches en couleurs. Le pays est en train de réapprendr­e à faire du tourisme. » Avec l’ambition de passer la barre des 10 millions de visiteurs d’ici à 2030.

Dans le quartier Telemly, sur les hauteurs d’Alger, le boulevard Krim-Belkacem en a profité pour accélérer sa mue. Une brocante, un restaurant ethnique chic, un magasin de déco, une pâtisserie fine et plusieurs galeries d’art viennent d’y élire domicile. La tranquilli­té du quartier et la proximité de l’agréable parc Beyrouth en font le lieu privilégié de ceux qui fuient la frénésie de la ville. C’est là aussi que l’on découvre les étonnants projets architectu­raux des années 1950, réalisés par des disciples de Le Corbusier, tel l’imposant immeuble central de l’ensemble Aérohabita­t, bâti sur le modèle de la Cité Radieuse à Marseille, et qui offre une vue imprenable sur toute la baie. Ou encore l’immeuble-pont Burdeau, premier du genre dans le monde.

BURGERS, ROOFTOPS ET CÉRÉALES

Plus haut, Sidi Yahia est lui devenu l’un des quartiers les plus branchés – et l’un des plus chers – d’Alger. Les restaurant­s chics se sont vus ringardisé­s par des sushis bars, des restos de burgers, des rooftops, un bar à céréales… Le Bad Buns en est l’archétype : burgers à l’américaine, déco industriel­le, esprit loft, musique pop et reggae, fresques de graffeurs algériens, jeux de société en libre-service. L’endroit séduit les expatriés comme les touristes. Son patron, Youssef Othmani, raconte l’avoir ouvert il y a deux ans, fraîchemen­t rentré d’Angleterre sur les terres de son père, parce que « le marché était favorable ». Assis sur la terrasse au style de paillote, il explique : « J’avais la chance de vivre à l’étranger, mais c’était un devoir pour moi de revenir ici et d’aider le pays à redresser la barre. Depuis, on a donné des idées à d’autres, et c’est tant mieux. »

La métamorpho­se de la ville gagne le bas de la Casbah, où les anciens quartiers sont progressiv­ement réhabilité­s. La place des Martyrs, haut lieu des rassemblem­ents politiques, sous laquelle ont été découverts des vestiges remontant à l’occupation romaine, est en train de changer de visage. La restaurati­on de la mosquée Ketchaoua vient de s’achever. De même, près de l’Amirauté et de la Pêcherie, l’espace a été rendu au public. A côté de la cathédrale du Sacré-Coeur, à l’allure de centrale nucléaire, la rue Didouche-Mourad est devenue le temple de la fièvre consommatr­ice des Algérois. Sur cette artère centrale commerçant­e depuis toujours, les magasins et les fast-foods ne désempliss­ent pas. La foule est gouailleus­e et grouillant­e. Les jeunes filles paradent. Les mateurs matent.

Le chauffeur de taxi – le « taxieur » –, qu’on hèle à la volée, prend à peine le temps de ralentir pour récupérer son client qu’il repart déjà dans la fureur des embouteill­ages et des klaxons. Connaître avec précision les noms des rues s’avère mission impossible. Certaines ont été débaptisée­s après l’indépendan­ce, sans être toujours renommées. La capitale s’explore sans plan. Le plus simple est de donner au chauffeur un repère, un commerce ou un bar à proximité. Ce n’est pas une ville pour flemmards. Mais les Algérois avaient prévenu : Alger se mérite.

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POPULATION JEUNE, DÉCOR DE RÊVE… PAS ÉTONNANT QUE LA VILLE ATTIRE LES VOYAGEURS.
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LE QUARTIER HISTORIQUE DE LA CASBAH, LA VIEILLE VILLE D’ALGER, EST CLASSÉ AU PATRIMOINE MONDIAL DE L’UNESCO DEPUIS 1992.
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L’ARCHITECTU­RE EST L’UN DES ATTRAITS DE LA CAPITALE. ICI, LA SUBLIME MOSQUÉE KETCHAOUA DONT LA RESTAURATI­ON VIENT DE S’ACHEVER.

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