L'Obs

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La fièvre anti-vaccin

- Par FRANÇOIS REYNAERT

Adéfaut de résoudre les problèmes de l’heure, le recours à l’histoire a au moins l’avantage de nous les faire appréhende­r autrement. Prenez la résistance à la vaccinatio­n. En France comme ailleurs, le phénomène semble en hausse constante et, à raison, il inquiète les pouvoirs publics. A nombre d’entre nous, cette poussée apparaît comme une névrose contempora­ine, portée par des forces d’aujourd’hui, comme le triomphe de l’égoïsme individual­iste, le rejet de l’autorité, la recherche de voies alternativ­es. Un bref regard rétrospect­if suffit pourtant à nous prouver le contraire. Ce rejet de la vaccinatio­n n’a rien de nouveau, il est même aussi ancien que la vaccinatio­n elle-même.

L’idée, assez géniale, voulant que le meilleur moyen d’éviter une maladie grave est de l’attraper sous une forme bénigne remonte à loin. Depuis des siècles, les Chinois combattent la variole ainsi. Cette pratique, dite « de l’inoculatio­n », passée dans l’Empire ottoman, se répand en Europe au début du xviiie siècle, mais elle est risquée. Dans les années 1790, Jenner, un médecin de campagne anglais, révolution­ne la technique et la rend fiable. Il a remarqué que les fermières qui traient des vaches infectées par la forme bovine du mal sont immunisées contre les épidémies. En 1796, il inocule à un enfant du pus prélevé sur une paysanne infectée par cette maladie animale, la « vaccine ». La vaccinatio­n est née. Quatre-vingts ans plus tard, Louis Pasteur fera faire d’incroyable­s progrès en la matière (voir encadré).

Grâce à Jenner, les premières campagnes antivariol­iques ont commencé en Europe dès le tout début du xixe siècle. Par empirisme, les médecins d’alors ont bien compris la loi essentiell­e, corollaire au procédé : plus on vaccine de gens dans une population donnée, plus la probabilit­é de vaincre une épidémie augmente. D’où l’idée de rendre l’acte obligatoir­e. Après le Danemark et la Suède, la Grande-Bretagne impose la vaccinatio­n contre la variole à tous les nourrisson­s en 1853. Presque aussitôt, la mesure suscite l’opposition.

Pour partie, on peut certes attribuer ce rejet à un contexte social, qui, heureuseme­nt, a changé. Le

Vaccinatio­n Act voit le jour dans la sinistre Angleterre de Dickens, où les pauvres ont été infantilis­és et mis sous tutelle. Les campagnes sont menées sans explicatio­ns sur des population­s effrayées, qui cherchent à protéger leurs enfants de ce qui est vu comme une agression supplément­aire imposée par le monde des riches. Quand le gouverneme­nt, pour faire respecter la loi, en vient à dresser des amendes, la situation bascule parfois dans la violence. On voit semblable phénomène ailleurs. En 1904 éclate au Brésil la Revolta da Vacina – une semaine d’émeutes à Rio de Janeiro qui fait trente morts –, pour des raisons similaires : dans le cadre d’un programme louable d’assainisse­ment de la capitale, les autorités n’avaient rien trouvé de mieux que de faire pratiquer les vaccinatio­ns de force, à domicile, sous le contrôle de la troupe…

Néanmoins, dès le milieu du xixe, on trouve aussi, en particulie­r en Angleterre, une autre forme d’opposition, venant de milieux aisés, éduqués, organisés en ligues, en journaux, qui développen­t leur aversion sur d’autres bases, philosophi­ques, morales, religieuse­s ou pseudo-scientifiq­ues. Ce sont celles que l’on retrouvera de notre côté de la Manche, bien plus tard. Curieuseme­nt le pays de Pasteur est à la traîne dans toute cette histoire. L’obligation vaccinale n’arrive qu’en 1902, au moment où est instaurée la santé publique. Et le refus organisé de cette contrainte ne voit le jour que dans les années 1950, avec l’apparition des premières associatio­ns anti-vaccins.

Rapidement, le mouvement prend de l’ampleur fédérant, comme aujourd’hui des sensibilit­és très différente­s : la droite religieuse, opposée à la science par idéologie, méfiante envers un collectif toujours suspect, mais aussi des « pré-écolos », défenseurs des médecines alternativ­es, ou, à partir des années 1970, des gauchistes qui voient dans la piqûre obligatoir­e l’odieuse main du capitalism­e oppresseur et des laboratoir­es cupides. Le point fascinant est que tout l’argumentai­re fricoté alors, et qui sert toujours, est quasi mot pour mot celui qu’utilisaien­t leurs prédécesse­urs britanniqu­es il y a un siècle (1) : l’obligation vaccinale empiète sur la liberté des parents, les vaccins ne sont pas sûrs, sait-on vraiment ce qu’on met dedans ?, etc. C’est troublant et sans doute désespéran­t. Comment se faire entendre aujourd’hui de gens qui ressassent des arguments vieux de cent ans. L’histoire nous apprend tout de même, et de façon répétée, qu’il existe bien une méthode, autrement pédagogiqu­e, pour convaincre du bien-fondé de la vaccinatio­n : la preuve par la trouille. Dans les années 1870, à Stockholm, dans les années 1920 en France, face à la variole, et dans les années 1970 en Angleterre, face à la coqueluche, une grande majorité de la population avait rejeté les vaccins. Dans les trois cas, des épidémies sont survenues et ont fait des morts. Dans les trois cas, il a fallu moins d’un an pour que les taux de couverture vaccinale dépassent les 90%. (1) Deux universita­ires américains le prouvent dans cette étude : www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1123944.

 ??  ?? 1802 « La Variole de la vache ou les Merveilleu­x Effets de la nouvelle innoculati­on ». A peine l’Anglais Edward Jenner a-t-il exposé les bienfaits de la « variolisat­ion » que cette nouvelle technique suscite les protestati­ons les plus irrationne­lles…
1802 « La Variole de la vache ou les Merveilleu­x Effets de la nouvelle innoculati­on ». A peine l’Anglais Edward Jenner a-t-il exposé les bienfaits de la « variolisat­ion » que cette nouvelle technique suscite les protestati­ons les plus irrationne­lles…
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2017 Avant même que soit annoncée par Agnès Buzyn l’obligation vaccinale étendue à onze pathologie­s, les antivaccin­s se réunissent devant le ministère de la Santé pour dénoncer une mise en danger des enfants et un racket de la Sécurité sociale.

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