L'Obs

Hommage France Gall, tout pour la musique

Triste période pour la chanson française. Un mois après Johnny, l’interprète de “Poupée de cire, poupée de son” et de “Résiste” s’est éteinte à l’âge de 70 ans

- SOPHIE DELASSEIN

Ce n’est pas sa présence vibrante qui va manquer le plus aux Français dans les jours, les semaines, les mois à venir. Décédée des suites d’un cancer, France Gall ne chantait plus depuis près de vingt-cinq ans, n’interrompa­nt que très rarement son existence de retraitée entre Paris, la Normandie et le Sénégal. Et quand elle réapparais­sait publiqueme­nt, c’était à chaque fois pour promouvoir l’oeuvre de Michel Berger ou la sienne (comme en 2015 avec la comédie musicale « Résiste »).

Fin 1994, à l’occasion de la sortie de l’intégrale de ses chansons, nous l’avions rencontrée dans son appartemen­t haut perché du 17e arrondisse­ment. Elle n’était pas peu fière de son oeuvre rassemblée sous forme d’un coffret réunissant albums studio et enregistre­ments en public. Fière, elle pouvait l’être, elle qui était entrée dans le coeur des Français adolescent­e pour ne plus jamais en sortir. Nous lui avions demandé si la scène ne lui manquait pas : « On peut tout à fait ne plus faire ce que l’on a aimé faire passionném­ent », avait-elle répondu en substance.

BLONDEUR INGÉNUE

Née Isabelle Gall en 1947, France est une enfant du sérail. Son grand-père a fondé les Petits Chanteurs à la Croix de Bois. Son père, Robert Gall, a écrit pour les Compagnons de la Chanson, Edith Piaf, ou encore, pour Charles Aznavour, « la Mamma ». C’est lui qui pousse sa fille, en difficulté scolaire, à enregistre­r quelques titres. Elle a alors 16 ans. On se souvient de sa blondeur ingénue, de son personnage de femme-enfant et de son premier tube, « Ne sois pas si bête », adaptation par Pierre Delanoë de « Stand a Little Closer » des Américains Jack Wolf et Maurice « Bugs » Bower. Les garçons en tombent fous amoureux. Les filles s’identifien­t. Nous sommes en 1963 et la République à papa est submergée par la vague yéyé.

Deux ans plus tard, le 20 mars 1965, France Gall remporte l’Eurovision avec « Poupée de cire, poupée de son ». A cette époque, la jeune fille est éprise de Claude François. Leur séparation inspirera au chanteur « Comme d’habitude », l’histoire universell­e d’un lit défait déserté par l’amour, devenu le standard internatio­nal « My Way », porté par Frank Sinatra. Le soir du concours, France Gall apparaît aux côtés du quasi-inconnu Serge Gainsbourg, dont elle a déjà interprété « N’écoute pas les idoles » et « Laisse tomber les filles ». Il est l’auteur du titre de la victoire. Un an après, avec sa malice et son goût de la provocatio­n légendaire­s, il fait chanter ses lubriques « Sucettes » à l’ingénue, vexée de les avoir sucées à la télé et sur toutes les scènes de France sans en avoir saisi le double sens.

Le nom de Gainsbourg restera présent dans le répertoire de France Gall jusqu’en 1968, année où la chanteuse commence à tourner en rond et à lasser son public avec ses mimiques et sa voix d’éternelle adolescent­e. Elle n’apparaît alors plus guère en couverture des journaux que pour son idylle avec la vedette de la comédie musicale à scandale « Hair », Julien Clerc, rencontré dans les coulisses du Théâtre de la Porte-Saint-Martin. La jeune chanteuse supporte mal le succès grandissan­t de son petit copain. Leur rupture, en 1974, inspirera à Etienne Roda-Gil « Souffrir par toi n’est pas souffrir », sublime complainte, joyau de l’album « N°7 » de Julien Clerc.

BERGER, LE MENTOR

A l’époque, France Gall connaît déjà Michel Berger. Ce dernier ne se remet pas de sa séparation d’avec Véronique Sanson, son double en chanson. De France Gall il devient le mentor. Il est l’auteur dont elle rêvait. Ils se marieront et auront deux enfants : Pauline et Raphaël. L’ex-idole, qui n’a plus sorti d’album depuis 1968, revient au sommet avec son disque sans titre de 1976 signé Michel Berger, paroles et musique. Il contient tellement de tubes qu’on croirait entendre une compilatio­n : « Comment lui dire », « Ce soir je ne dors pas », « Je saurai être ton amie » et surtout « la Déclaratio­n d’amour », fondatrice de leur vie de couple.

Les sommets, France Gall ne les quittera plus. En 1977, elle cartonne avec « Musique » et « Si maman si ». Dans la comédie musicale « Starmania » (1979), livret de Luc Plamondon, musique de Michel Berger, elle incarne Cristal – le spectacle deviendra culte. Les années 1980 s’ouvrent avec « Il jouait du piano debout ». En 1981, elle enchaîne les succès avec « Tout pour la musique », « Résiste », « Diego libre dans sa tête ». 1984, c’est « Débranche », «Calypso», «Cézanne peint» et «Hong-Kong star ». Et ça continue en 1987 avec « Babacar » et « Ella, elle l’a », hommage à la voix du jazz américain Ella Fitzgerald.

La disparitio­n brutale de Michel Berger, le 2 août 1992, marque le coup d’arrêt de la carrière de France Gall. Ils venaient de sortir leur premier et unique album à deux voix, « Double Jeu », et s’apprêtaien­t à le défendre en tournée. France Gall montera seule sur la scène de Bercy en septembre 1993. Après une série de concerts acoustique­s à la salle Pleyel et un album de reprises deux ans plus tard, elle s’efface. Le public venu l’applaudir à l’Olympia en novembre 1996 assiste sans le savoir à ses adieux.

La perte de Michel Berger, un cancer du sein un an plus tard, la disparitio­n de leur fille Pauline à l’âge de 19 ans en 1997 font basculer la vie de l’enfant gâtée de la chanson dans le drame. La dernière fois que France Gall est montée sur scène, c’était en l’an 2000, quand Johnny Hallyday l’avait invitée à reprendre en duo la chanson de Berger, « Quelque chose de Tennessee ».

Johnny Hallyday en décembre, France Gall en janvier. Les idoles, incarnatio­ns d’une certaine jeunesse, s’éteignent peu à peu.

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La chanteuse à ses débuts, période yéyé.
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