L'Obs

Passé/présent Un calendrier chargé… d’histoire

La façon de découper l’année ne s’est pas faite en un jour. Retour sur ceux qui, de Jules César à Grégoire XIII, ont ordonné le temps

- FRANÇOIS REYNAERT

D ans ce monde où tout semble basculer, pensez-vous, une chose est solide, assurée, indiscutab­le : nous venons d’entrer dans une nouvelle année. Crédules que vous êtes! En quoi cette notion est-elle moins vacillante que d’autres? Le temps, tout au moins la façon que nous avons d’en mesurer l’écoulement, n’a rien d’une vérité abstraite et universell­e mais tout de la constructi­on ou du bricolage humains. Chacun sait que l’histoire s’appuie sur l’étude des jours, des ans, des dates. Mais tout le monde oublie que notre manière de compter par dates, par jours, par années a aussi une histoire. Profitons donc du vrai faux passage que nous venons de franchir pour tenter d’en éclaircir les mystères.

Le concept le plus simple à déconstrui­re est celui de début d’année. La plupart d’entre nous en avons plusieurs. Ne parle-t-on pas, pour désigner celle qui débute, d’« année civile », pour la distinguer de ses cousines, comme l’« année scolaire » ou l’« année judiciaire » (qui a longtemps commencé en septembre) ? L’Occident a toujours eu du mal à se dépatouill­er de pareil méli-mélo. Toutes les provinces, les cités avaient leur propre nouvelle année, souvent adossée sur des fêtes religieuse­s, la Nativité (25 décembre), l’Annonciati­on (25 mars) ou Pâques, moins commode, puisque la date, calée en partie sur les phases de la Lune et devant obligatoir­ement tomber un dimanche, bouge tout le temps. Comme nous l’explique un article très érudit de l’historien Jean-Michel Sallmann (1), au milieu du xvie siècle, l’Empire romain germanique, ce grand congloméra­t, est le premier à comprendre l’intérêt d’une unificatio­n. Il est bientôt suivi par l’Espagne, le Portugal, puis la France. Un édit de Charles IX de 1563 fixe pour tout le royaume l’an neuf au 1er janvier.

Le choix peut sembler étrange. La date ne correspond qu’à une fête religieuse mineure (à l’époque, la circoncisi­on de Jésus) mais le choix, en ces temps très admiratifs de l’antiquité gréco-latine, est un hommage à Jules César, qui avait fait commencer le cycle annuel à cette date, alors qu’avant lui il partait du 1er mars. Nos

mois continuent d’ailleurs de garder la trace de cet antique usage. C’est en son souvenir que notre neuvième mois s’appelle le mois 7 – septembre – comme les dixième, onzième et douzième, les mois 8 – octobre –, 9 – novembre –, et 10 – décembre.

Notre fameux César n’avait pas seulement marqué le point de départ de l’année calendaire, mais du calendrier tout entier. L’affaire n’était pas mince. Depuis la nuit des temps, si l’on ose écrire, les hommes se demandent comment compter les jours. On peut – comme le font encore de nombreuses civilisati­ons – s’appuyer sur les phases successive­s de la Lune. Ce calendrier lunaire a l’avantage de ne pas être trop compliqué à établir – au moins si les nuits sont claires – mais le défaut de se décaler constammen­t par rapport aux saisons. D’où la tentation de se fonder sur les mouvements du Soleil. Cela n’est pas sans inconvénie­nt non plus, au moins sur le long terme. Notre planète ne tournant pas tout à fait rond, le calendrier solaire a l’exaspérant­e manie de ne jamais correspond­re à un nombre de jours entiers. Au premier siècle avant notre ère, un certain Sosigène d’Alexandrie, mathématic­ien, astronome hors pair, réussit, à l’issue de calculs mirifiques, à établir qu’une année tient en 12 mois et 365 jours et quart. Que faire du quart ? Il propose de le transforme­r en un jour plein qu’on ajoutera aux autres tous les quatre ans. On décide de l’intercaler après le sixième jour des calendes de mars (soit vers le 24 ou 25 février) : c’est un deuxième six, un six bis, d’où les noms de jour, puis d’année bissextile­s. Convaincu par le savant alexandrin, César fait adopter en 46 av. J.-C. le nouveau modèle qui porte son nom. Pendant des siècles, l’Europe en restera à ce calendrier julien. Il n’est malheureus­ement pas idéal non plus. Au milieu du xvie siècle, les savants se rendent compte que lui aussi, pendant tout ce temps, a produit un décalage. D’où une nouvelle réforme, menée par le pape Grégoire XIII qui trouve un moyen radical de supprimer les dix jours d’avance que l’ancien calendrier avait pris par rapport aux révolution­s du Soleil : il décrète que lors de l’année 1582, le jeudi 4 octobre sera suivi par le vendredi 15. Et hop!

Prévoyant, en outre, la suppressio­n d’une paire d’années bissextile­s pour les siècles à venir, le calendrier grégorien est né. Les pays catholique­s l’adoptent. La plupart des pays qui ne le sont pas se cabrent devant une rénovation portée par un pontife. L’Angleterre ne s’y met qu’au xviiie siècle, et cela suscite encore la colère d’une partie de l’opinion. Ce n’est qu’en 1918 que les bolcheviqu­es imposent à l’orthodoxe Russie de se séparer du décompte julien. C’est la raison pour laquelle, comme nul étudiant en histoire désespéré ne l’ignore, la fameuse révolution de février qui avait eu lieu l’année précédente, en 1917, s’est passée en mars, et celle d’octobre, en novembre. (1) « Astronomes, philosophe­s, théologien­s : les inventeurs du calendrier », paru dans l’excellente revue « l’Histoire », en décembre 1999.

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1582 Pour s’y retrouver dans le calendrier grégorien, institué le 15 octobre à l’initiative de Grégoire XIII, on pouvait compter sur ses doigts grâce au « Compot » inventé par le chanoine Jean Tabourot.
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Le facteur distribue chaque année le calendrier de La Poste depuis 1849. Devenu kitsch, il est pourtant visible dans la plupart des foyers français.

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