Iran « Le régime n’est pas en danger ». Entretien avec l’intellectuel Ahmad Salamatian
Le mouvement de contestation qui a enflammé la République islamique pendant une semaine est en train de s’essouffler. Il est la conséquence d’une guerre de succession entre conservateurs et modérés, nous explique l’intellectuel iranien Ahmad Salamatian
Comment faut-il comprendre les manifestations qui ont agité l’Iran pendant une semaine ?
C’est la question budgétaire qui a causé la révolte. Traditionnellement en Iran, à partir de janvier, on élabore le budget qui doit être prêt avant Norouz, le début de l’année iranienne, le 21 mars. Or cette année, le président Rohani a décidé de mettre en oeuvre des mesures d’austérité budgétaires telles que le FMI les préconise. Elles prévoyaient des augmentations de l’essence, de l’électricité et du gaz [elles ont depuis été annulées, NDLR]. Personne n’avait osé faire cela avant lui. L’arrivée de Trump au pouvoir et sa mise en cause de l’accord nucléaire ont empêché le président d’assainir l’économie iranienne. Il
a pu réduire l’inflation mais pas le chômage. Les entreprises européennes voulant investir en Iran y ont renoncé par peur des sanctions américaines. Dans ce contexte, il était très audacieux et risqué de mettre en oeuvre un budget restrictif. Et les Iraniens ont été pris en tenaille entre les sanctions internationales et l’austérité décidée par le gouvernement.
Dans quel contexte politique cette crise se déroule-t-elle ?
Depuis deux ans, le pays prépare la succession du guide suprême, Ali Khamenei, qui est malade et dont le camp est un peu affaibli. Son candidat aux élections, l’ayatollah Ebrahim Raissi, qui dirige l’Astan-e Qods-e Razavi, la plus riche fondation religieuse du pays, a été battu. Et son cabinet se déchire. C’est le moment qu’a choisi Rohani pour réclamer de la transparence. Et expliquer que 25% du crédit, soit 100 milliards d’euros, échappent à tout contrôle gouvernemental. En faisant cela, il accuse ouvertement les organismes de prêt islamique et les fondations dépendantes du cabinet du guide et des gardiens de la révolution de corruption et d’opacité. Il les accuse de détourner l’argent du pétrole pour financer leur clientélisme, et prône une glasnost à l’iranienne et cherche à déstabiliser le noyau dur des conservateurs.
Ce sont donc les conservateurs du régime qui ont fomenté la révolte ?
Au début, oui. C’est l’entourage d’Ebrahim Raissi qui a commencé à critiquer la vie chère et à organiser des manifestations à Mashhad et dans le Khoransan. Les slogans de « Mort à Rohani ! » ont été chantés au cours de ces rassemblements. Mais le jeu des conservateurs a été dangereux. Car aussitôt d’autres manifestants se sont greffés, beaucoup plus nombreux, et les cris de « Mort au dictateur ! » [le guide, NDLR] se sont ajoutés aux premiers slogans. C’est alors que la contestation a flambé, gagnant 80 villes petites et moyennes du pays.
Les ennemis de l’Iran (le président Trump ou le prince Salmane...) ontils eu un rôle, comme le prétend Ali Khamenei, dans le soulèvement ?
Cette intervention s’est limitée à la propagation
Ex-parlementaire iranien, AHMAD SALAMATIAN vit à Paris. Il est l’auteur de « la Révolte verte », Editions Delavilla, 2010.
de fake news sur les réseaux sociaux. Avec Al-Jazira, le Qatar maîtrise la télévision arabe, mais l’Arabie saoudite avec Al-Arabiya se déploie sur le web aussi. Et en Iran, où l’on trouve plus de 40 millions d’utilisateurs de l’application Telegram, en particulier à usage commercial, cette propagande fait mouche. Mais ce sont surtout les déclarations incendiaires de Trump et sa remise en cause de l’accord nucléaire qui ont été plus dévastatrices que les bombes. Le camp qui arrivera à régler la crise dominera la vie politique pour les cinq ans à venir. Jusqu’ici Rohani a réussi à s’en sortir en maintenant le contrôle du ministère de l’Intérieur sur les opérations des forces de l’ordre, épaulées par les bassidji : il a évité la militarisation de la répression et la mainmise totale des gardiens de la révolution sur ces opérations. Et les manifestations ont perdu en intensité. De toutes les façons, à court terme, le régime n’est pas en danger. Cette révolte est un bras de fer qui est engagé entre le clan de Khamenei et celui de Rohani, avec en toile de fond la mort prochaine du guide suprême.
Quelle sera la conséquence de cette contestation ?