Ecologie « la Guerre des métaux rares », de Guillaume Pitron : les sales dessous des technologies vertes
Dans “la Guerre des métaux rares”, Guillaume Pitron livre une enquête décapante sur la révolution énergétique et numérique actuelle, qui n’a en réalité rien de très écologique
Véhicules électriques, énergies renouvelables, compteurs intelligents… S’il est un sujet qui fait l’unanimité, c’est bien la transition énergétique. Le passage d’une économie fortement « carbonée » à une économie plus verte et vertueuse. Tout le monde l’aime, cette transition, à droite, à gauche, au centre, aux extrêmes. Les industriels la vantent, les organisations environnementales la promeuvent, les technoprophètes la sacralisent. Elle est notre nouvelle frontière. Guillaume Pitron, ancien juriste devenu journaliste, a pendant huit ans parcouru la planète – Chine, Malaisie, Indonésie, Afrique du Sud, Amérique du Nord – pour enquêter sur le revers de cette belle médaille. Une formidable enquête, dont il tire un livre qui fait froid dans le dos : « la Guerre des métaux rares ». Cette révolution qu’on nous vante n’est pas si propre. Elle repose sur des technologies avides de métaux aux noms souvent barbares – antimoine, germanium, lithium, cobalt, bismuth,
terres rares, dont l’extraction est extrêmement polluante. Qui sait que, si l’on englobe l’ensemble de son cycle de vie, une voiture électrique peut émettre plus de CO2 qu’un vulgaire diesel ? Si une transition énergétique est indispensable, ce n’est pas celle dans laquelle nous nous sommes lancés à corps perdu. Non seulement celle-ci ne fait que délocaliser la pollution vers les pays du Sud, mais elle place l’Occident dans une situation de dépendance inouïe vis-à-vis de la Chine. Bref, il faudrait tout reprendre de zéro.
A vous lire, la transition énergétique actuelle est une supercherie?
Elle repose sur une mystification, celle selon laquelle les technologies vont, comme par miracle, apporter la solution à nos défis environnementaux. Vendues par les industriels et soutenues par les politiques, qui ont pris conscience de l’enjeu électoral, elles nous sont présentées comme le point d’équilibre entre le désir d’un monde plus vert et celui d’une consommation toujours plus grande.
La « croissance verte », selon le fameux oxymore…
Une pure contradiction. Réveillons-nous : il va falloir choisir. La transition écologique que l’on nous propose n’est pas assez radicale. C’est une transition paresseuse, au rabais. Je ne viens pas de l’écologie, mes études ne m’ont pas frotté à ces enjeux, je ne suis pas spécialement décroissant. Mais, après des années à travailler sur la question, je suis obligé de constater que ces technologies ne nous apporteront pas un monde plus vert, bien au contraire : elles nous détournent de la « vraie » révolution que nous devrions entreprendre, celle de nos modes de consommation, de nos comportements, de notre philosophie. Elle nous écarte des questionnements douloureux. Elle nous place dans une situation de déni, ce qui est confortable mais ne résout rien.
Concrètement, de quoi parle-t-on quand on évoque la transition énergétique?
On parle de deux familles de technologies : celles liées aux énergies vertes – voiture électrique, éoliennes, solaire… – et celles du numérique – téléphones portables, algorithmes, infrastructures informatiques. Les premières permettent de « décarboner » notre économie, les secondes sont censées la « dématérialiser » au sens premier du terme : se passer de « matière », comme le courrier électronique qui fait économiser du papier. Grâce à cette prétendue dématérialisation, on a l’impression de réduire notre impact sur la nature, ce qui est une illusion. Ces deux familles de technologies convergent, les « numériques » permettant de rendre plus efficientes les « vertes », avec des algorithmes permettant de mieux gérer les flux d’électricité et de réaliser des économies d’énergie fabuleuses.
Prenons l’exemple de la voiture électrique.
La voiture électrique, c’est la délocalisation de la pollution : une hypocrisie totale, un immense scandale. A l’instant où vous roulez, certes, vous n’émettez pas de CO2. Nous, les urbains, serons ravis de retrouver la couleur du ciel. Mais, pour produire cette voiture, il faut aller chercher des métaux, les transporter d’un bout à l’autre du monde… Or, si vous faites le calcul sur l’ensemble du cycle de vie des voitures électriques et de leurs batteries, depuis les mines dans lesquelles sont extraits les métaux jusqu’aux décharges, elles consomment autant d’énergie primaire (fossile, nucléaire, etc.) qu’un véhicule diesel : c’est le constat que fait l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (Ademe) dans un rapport d’avril 2016. Quant aux émissions de CO2, selon certains calculs, du berceau à la tombe, elles atteignent 75% de celles d’une voiture à essence.
Une enquête menée par la Vrije Universiteit Brussel estime pourtant qu’elles émettraient moitié moins de CO2 qu’un véhicule classique…
Tout dépend des variables que l’on prend en compte. Il faut ainsi considérer l’origine de l’électricité qu’elle utilise. La voiture qui roule en Allemagne ou en Chine – où l’alimentation énergétique provient largement du charbon – est-elle finalement électrique ou à charbon ? Au total, elle émet probablement davantage de CO2 que les véhicules traditionnels. Autre problème : l’effet
rebond. Les industriels proposent des voitures « qui ne polluent pas », et qui sont bardées de merveilleux gadgets connectés. Leur but, c’est de vendre plus. Ces véhicules « verts » constituent un appel d’air fabuleux pour le marché automobile, qui va croître. Même si chaque véhicule émet moins de CO2, leur nombre va augmenter et l’on polluera davantage. Ils posent, par ailleurs, un problème éthique. Avec la voiture à essence, nous sentons les gaz d’échappement que nous produisons. Si le gouvernement réduit la vitesse obligatoire, nous sommes responsabilisés. La voiture électrique, elle, évite d’assumer le coût écologique de nos comportements. On transfère la pollution dans des mines chinoises, africaines ou latino-américaines, leurs batteries ayant besoin de graphite, de terres rares, de cobalt, de lithium.
Mais la transition verte, ce sont aussi les transports publics, le covoiturage?
Des modes de consommation plus sobres émergent, tant mieux. L’essayiste Jeremy Rifkin décrit le passage d’un « monde de la propriété » à un « monde de l’accès ». Si l’on partage, on aura besoin de moins de voitures. Mais il y a, là aussi, une face cachée car ce partage passe par des réseaux numériques, du type Blablacar, qui mettent en lien des personnes. Or, ces réseaux reposent sur un Léviathan numérique, dévoreur de matériaux et d’énergie : téléphonie, câbles sous-marins, serveurs qu’on loge dans les pays polaires, supercalculateurs, satellites, fusées pour les lancer, millions de tablettes et de téléphones portables… Qui a calculé ce que cette immense toile consomme en métaux rares, ce que coûtera sa croissance exponentielle ? Cette idée que nous allons nous affranchir de la matière grâce au numérique est saugrenue.
Est-on certain que la matière ainsi consommée surpasse celle « économisée » par ces réseaux?
Répondre à cette question nécessiterait des mois de recherche. Ce qui est sûr, c’est que la dématérialisation est un mythe, car elle fait abstraction de l’énergie nécessaire aux équipements qui la rendent possible et du fait que l’industrie minière, sans lesquelles ces technologies prétendument virtuelles ne peuvent exister, est l’une des plus polluantes au monde et qu’elle pollue de plus en plus.
Selon vous, même les énergies renouvelables sont suspectes?
Les panneaux solaires fonctionnent aujourd’hui grâce à du silicium, dont l’extraction produit énormément de CO2. Quant aux éoliennes, selon une étude publiée par « Nature », elles consomment davantage de matières premières que les énergies classiques pour la même quantité d’électricité produite ! Enormément de cuivre, notamment, surtout pour celles installées offshore, qui nécessitent des kilomètres de câbles. Le côté ubuesque de tout cela, c’est qu’on va exploiter plus de matières premières au nom d’une transition énergétique… que l’on n’arrivera peutêtre même pas à accomplir, faute d’en disposer en quantité suffisante! Annoncer un nouveau monde, c’est bien gentil, mais encore faudrait-il avoir les moyens de l’atteindre.
Autre problème : ces énergies sont intermittentes. On ne décide pas du soleil ou du vent, l’énergie entre sur le réseau selon le bon vouloir de la nature. Pour surmonter cet obstacle, les gestionnaires du réseau misent sur les algorithmes, donc sur des supercalculateurs, donc sur de la pollution.
Nous n’en sommes qu’aux balbutiements de cette révolution. Ne trouvera-t-on pas demain des technologies véritablement plus propres? Votre livre n’est-il pas trop pessimiste?
Les technologies vont évoluer, heureusement, et j’espère que ce livre, qui est une photographie de la situation actuelle, contribuera à accélérer ce changement. Par exemple, pour les panneaux solaires, on peut remplacer le silicium par la pérovskite, beaucoup plus propre. De même pour les voitures : les progrès en matière de stockage d’énergie dans les batteries sont rapides. Nous irons vers les véhicules à hydrogène, vers les trains à sustentation magnétique… Et les technoprophètes nous vendent bien d’autres miracles mais, chaque fois, nous rencontrerons d’autres difficultés. L’exploitation de l’hydrogène ou de la biomasse pose d’énormes défis écologiques… Il ne suffira pas, pour résoudre un problème, de le déplacer en basculant sur la technologie suivante. Nous devons aussi changer nos modes de vie.
Selon vous, la révolution verte ne fait que « déplacer » les problèmes liés à l’exploitation du pétrole?
On retrouve avec les métaux rares toutes les problématiques que pose le pétrole : écologiques, géopolitiques, économiques. Nous les déplaçons du MoyenOrient vers la Chine, sans les régler.
L’une des idées fortes de votre livre, c’est de « relocaliser » les mines dans nos pays. Cela va faire hurler les écologistes…
Ouvrir des mines de métaux rares en France serait la décision écologiste la plus courageuse qui soit. Bien davantage que la fin des moteurs thermiques à l’horizon 2040! Avec la transition énergétique, nous avons en réalité externalisé notre pollution. Des pays du Sud extraient les minéraux nécessaires, et nous fermons les yeux sur l’empreinte écologique de cette activité. Si nous voulions apprécier la réalité du drame qui se joue, il faudrait l’avoir sous les yeux. Rien ne changera sinon. La réaction du public serait, à juste titre, hostile aux mines, mais cela permettrait d’accélérer la recherche de solutions durables : le recyclage – aujourd’hui, on ne recycle que 1% des terres rares ! – et donc l’écoconception des produits pour faciliter ce recyclage futur; le remplacement de métaux énergivores par d’autres; la lutte contre cet écocide qu’est l’obsolescence programmée; enfin, l’indispensable sobriété. Autre argument, plus tangible : ces mines seront moins polluantes que celles de Chine, nos standards étant plus stricts. Cela nous coûtera certes plus cher d’acheter un téléphone portable, mais nos technologies seront plus propres et notre indépendance accrue.
La Chine, dites-vous, a tout compris, elle s’est lancée dans une conquête effrénée du marché des métaux rares. Et nous sommes désormais à sa merci.
La Chine est aujourd’hui une Opep sous stéroïdes. En comparaison, notre dépendance au pétrole saoudien est un problème mineur. L’Opep, ce sont quatorze pays qui produisent 41% du brut. La Chine extrait aujourd’hui 95% des terres rares, 87% de l’antimoine, 82% du bismuth, 87% du magnésium, 84% du tungstène! Sans parler de toutes les mines où elle a investi, en Afrique ou ailleurs. Elle a mis la main sur 80% du cobalt du CongoKinshasa, principal producteur. Elle développe une impressionnante stratégie à long terme, ce que nous ne faisons plus depuis longtemps. Elle siphonne tous les métaux rares pour sa propre croissance. Elle les retire du marché, au point que le principe même du capitalisme, selon lequel on peut toujours, en y mettant le prix, se procurer un bien, est battu en brèche. La Chine mène une politique excessivement intelligente de sécurisation de ses ressources, et le pays le plus polluant de la planète se donne, lui, les moyens d’accomplir sa transition énergétique.
Pourquoi n’avons-nous pas suivi le même type de stratégie?
Nous n’avons pas voulu assumer le coût écologique de l’extraction. Nous nous sommes laissé emprisonner dans une logique de rentabilité à court terme, avec le marché comme seule boussole. Après la chute du mur de Berlin, le monde étant davantage pacifié, nous n’avons pas appréhendé les rapports de force de la même façon. Pris d’une sorte d’ensommeil le ment face aux risques géopolitiques, nous avons préféré acheter moins cher ces minerais plutôt que de sécuriser notre approvisionnement. Une situation d’ autant plus incroyable qu’ils sont aussi indispensables pour nos armements. Les EtatsUnis ont dû déroger à leurs règles d’embargo sur la Chine pour pouvoir produire leurs F35!
Résultat : nous sommes en train de basculer à marche forcée d’un système où nous avions la sécurité des approvisionnements avec le pétrole et une avance technologique considérable par notre maîtrise des moteurs thermiques vers un monde où nous dépendons complètement des Chinois pour les métaux rares, et où ceuxci ont pris une avance considérable sur les moteurs électriques.
Finalement Donald Trump a-t-il raison de défendre l’industrie minière américaine et l’exploitation des hydrocarbures?
Trump s’accroche à l’ancien modèle, celui dans lequel les EtatsUnis avaient la prééminence et la sécurité des ressources. Mais il a tort à long terme, car le système « carboné » est condamné. Par un excès d’hubris, il pense à tort que ses décisions fixeront le standard mondial. Pendant ce temps, le reste de la planète et les industriels américains s’engagent dans la transition énergétique. En revanche, il a raison de relancer le secteur minier dans les métaux rares, comme le lithium et le cobalt. Son décret de décembre est une décision écologique qu’Obama et ses prédécesseurs n’ont jamais osé prendre. Il se donne ainsi les moyens de bâtir une industrie fondée sur des technologies potentiellement plus propres.
OUVRIR DES MINES DE MÉTAUX RARES EN FRANCE SERAIT LA DÉCISION ÉCOLOGISTE LA PLUS COURAGEUSE QUI SOIT.