L'Obs

Théâtre L’Arlequin Dedienne

L’HUMORISTE Vincent Dedienne, RÉVÉLÉ par Canal+, se met au service de MARIVAUX dans “le Jeu de l’amour et du hasard”. Rencontre

- Par JACQUES NERSON

La France a découvert le visage de Vincent Dedienne sur Canal+ (en 2014) et sa voix sur France-Inter. Il est à présent l’un des chroniqueu­rs de « Quotidien », l’émission de Yann Barthès sur TMC. Mais son coeur de métier, comme disent les économiste­s, c’est le théâtre. Catherine Hiegel, qui monte « le Jeu de l’amour et du hasard », de Marivaux, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, lui a attribué le rôle du valet Arlequin. Mais il aurait tout aussi bien pu jouer Dorante : il fait craquer les jeunes premières comme les soubrettes. Comment résister à ses éclats de rire et au pétillemen­t de ses yeux malins ? Teint mat, cheveux noirs et frisés : ce Mâconnais doit avoir du sang méditerran­éen dans les veines. Comment savoir, puisqu’il n’a pas cherché à connaître ses procréateu­rs ? Ses vrais parents, ceux qui l’ont adopté, aimé, élevé, suffisent à son bonheur. « Je les adore. Depuis le début, ils font semblant de ne pas s’inquiéter pour moi. Ils étaient morts de trouille mais ont eu l’élégance de me laisser libre. Ce faisant, ils m’ont sauvé la vie. »

Jeune, il se trouvait laid. Aujourd’hui, il n’est qu’à moitié rassuré : « Quand on a été moche, on se sent toujours moche. Alors il faut se surpasser en esprit. » Raison pour laquelle, ébloui par un DVD de Muriel Robin, il a un jour décidé de devenir Muriel Robin à son tour. Comme une formation de Muriel Robin n’était proposée nulle part, il s’est rabattu en 2006 sur l’école de théâtre de la Comédie de SaintEtien­ne, où il est resté trois ans. Auparavant, il avait fait un passage éclair à la fac. « Six mois d’ennui. En plus c’est un garage, tous les étudiants qui ne savent pas où se diriger après le bac choisissen­t les arts du spectacle. Il n’y a que quatre malheureux clampins qui assistent aux cours. » Dès son entrée à l’Ecole de la Comédie de SaintEtien­ne, on lui dit avoir pris acte de son envie de music-hall, mais qu’il doit l’oublier pour enrichir sa palette. « J’ai compris que je n’étais pas seulement le petit rigolo de service et que je pouvais faire travailler d’autres muscles que les zygomatiqu­es. » Les gags, les vannes à jet continu, il connaît, il sait faire, mais réserve ça à la télévision. « Le seul sport que j’aie pratiqué, c’est le judo. J’y ai appris à enlever mes chaussures et à saluer avant d’entrer sur le tatami. Pour moi, la scène, c’est ça : un espace sacré. Je ne fais pas de stand-up. Il y a des gens très doués pour ça, pas moi. Même en tant que spectateur, je n’en suis pas fou. C’est fastoche, les blagues de salon. Pour moi, le théâtre, c’est l’inverse de mon boulot à la télé, c’est-à-dire parler de ce qui fait le buzz. »

Comment et pourquoi, quand on est acteur, se décide-t-on à écrire ses propres textes ? Aussitôt débarqué à Paris, Dedienne avait cherché un agent et couru les auditions. « En voyant mes copains déprimer, en constatant leur surconsomm­ation de bière et de jeux vidéo, je me suis dit : danger ! Pour passer le temps, j’ai ouvert mon ordinateur, remis le nez dans mon journal intime et essayé de réconcilie­r mon goût du music-hall avec le théâtre sérieux. Je lis le brouillon de “S’il se passe quelque chose” (cinq heures !) à mon amie Juliette Chaigneau qui conseille de tailler dedans à la serpe. On trouve une MJC à Paris qui, entre un cours de Pilates et un cours de yoga, nous permet de répéter. Et puis c’est le crash test, je le joue une première fois et j’ai eu un plaisir fou. » Pour autant, Dedienne ne se considère pas comme un auteur : « Je ne suis pas du genre à m’enfermer trois semaines seul face à la mer pour créer. » Il se sent d’ailleurs incapable d’écrire un texte pour plusieurs personnage­s. « Oh ! Je vois bien quelle mauvaise pièce je pourrais écrire, s’esclaffe-t-il. Ce n’est pas parce qu’on sait faire quelque chose qu’on peut tout faire. » A noter que dans « S’il se passe quelque chose », Dedienne, si complexé par son physique, s’exhibait nu comme un ver. Quand on le lui fait remarquer, il lance, narquois : « C’est bien ses contradict­ions qu’il faut montrer sur scène, non ? » Et c’est ainsi qu’il a fait son coming-out. Presque sans l’avoir voulu. Il a attendu la veille de la première pour se demander comment ses parents allaient réagir au récit de son premier chagrin d’amour… pour un garçon. Comment croyez-vous qu’ils ont réagi ? En ne manifestan­t pas la moindre émotion. Affaire classée, fermez le ban ! Et c’est en voyant un DVD dudit spectacle que Laurent Ruquier a proposé de le produire. Jusqu’ici, Dedienne avait l’impression de ne pas parler la même langue que les margoulins du show-biz qui ne songeaient qu’au fric et voulaient absolument remplacer Juliette Chaigneau par Pascal Légitimus : « Cette Juliette, c’est ton coach ? – Non, mon metteur en scène. – Ok, ton coach. » Au même moment, Laurent Bon, producteur pour Canal+, tombe sur l’un de ses sketches diffusé sur internet et l’invite à déjeuner. « J’étais flippé mais on n’a parlé que de Marguerite Duras pendant tout le repas. » Il lui propose de remplacer Stéphane de Groodt chez Maïtena Biraben. Aussitôt après, France-Inter se met de la partie et lui demande des chroniques. « J’ai pris goût à tout ça, mais c’est ma récré, pas mon métier, et il ne faut pas que ça le devienne. Je pense d’ailleurs que c’est la dernière année que je participe à “Quotidien”. Quatre ans, c’est suffisant. »

Ses cachets d’acteur de théâtre soutiendro­nt-ils la comparaiso­n avec ceux de la télévision ? « Oh, je suis loin d’être payé autant que Stéphane Guillon. Quand j’ai appris ce qu’il gagnait, j’ai halluciné. » Air faussement indigné : « Pourquoi il peut s’acheter une maison par semaine et pas moi ? » Mais la méchanceté n’est pas son rayon. « Le mot qui me convient le mieux, c’est trublion. Je ne suis pas belliqueux. Ni porte-parole d’une idéologie. »

Comment a-t-il vécu sa soudaine célébrité ? « La notoriété, je l’ai voulue, j’en ai rêvé enfant devant Joe Dassin chantant devant ses fans, vêtu de blanc chez Michel Drucker. Pour ma part, je n’ai jamais eu l’impression de vendre mon âme au diable en cherchant à être populaire au lycée. C’était le meilleur de moi que je mettais en avant. » Que fait-il quand il ne joue pas ? Il voit ses copains. « J’ai un talent fou pour l’amitié et le farniente. Je suis très doué pour les vacances. » Son rêve ? Faire une razzia chez un libraire et un disquaire, puis passer un ou deux mois au coin du feu. Apprendre à cuisiner. Hiberner. « J’aimerais bien avoir le temps de m’ennuyer. »

LE JEU DE L’AMOUR ET DU HASARD, par Marivaux, Théâtre de la Porte Saint-Martin, Paris-10e, 01-42-08-00-32. “LE MOT QUI ME CONVIENT LE MIEUX, C’EST TRUBLION”

 ??  ?? Né en 1987 à Mâcon, VINCENT DEDIENNE a fait ses débuts à la Comédie de Saint-Etienne en 2006. Chroniqueu­r sur Canal+ puis sur France-Inter et TMC, il a remporté le molière de l’humour 2017 avec « S’il se passe quelque chose », son premier seul en scène.
Né en 1987 à Mâcon, VINCENT DEDIENNE a fait ses débuts à la Comédie de Saint-Etienne en 2006. Chroniqueu­r sur Canal+ puis sur France-Inter et TMC, il a remporté le molière de l’humour 2017 avec « S’il se passe quelque chose », son premier seul en scène.
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Retrouvez tous les jeudis L’OBS dans La DISPUTE, produite par Arnaud Laporte de 19h à 20h sur France Culture.

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