“DES ENFANTS DU FOND DE LA RUE”
« A Téhéran, plus de la moitié des manifestants ont été ceux qu’on appelle en Iran “des enfants du fond de la rue”, c’est-à-dire des habitants venus des quartiers pauvres du sud de la capitale », explique Mohammad (1). Chaque jour depuis le 30 décembre, ce Téhéranais de 35 ans a arpenté l’avenue Enghelab, dans le centre-ville. Et malgré le déploiement massif des forces de l’ordre, en civil ou en uniforme, « les jeunes n’ont pas hésité à avoir recours à la violence, raconte Mohammad. Ils scandaient des slogans radicaux et n’avaient pas peur ». Cette sociologie de la contestation s’explique par le fait que le chômage touche particulièrement les jeunes, notamment dans les plus petites localités. « Quelqu’un de ma famille s’est suicidé le mois dernier. Ça faisait des mois qu’il cherchait du travail. En vain. Il a fini par céder au désespoir », explique Soroush, qui vit à Izeh, une ville de 200 000 habitants dans le sud-ouest de l’Iran, où deux manifestants auraient péri. A Izeh, le chômage qui atteint 35% de la population pousse de plus en plus de jeunes à partir. « C’est mon seul rêve », ajoute Soroush, amer. Selon la police de Téhéran, 90% des manifestants appréhendés avaient moins de 25 ans. « Bien sûr, une partie de ces jeunes sont allés manifester sans trop réfléchir, mais il est impossible d’ignorer le pessimisme chez les jeunes qui sont sur le point de faire leur entrée sur le marché du travail et qui n’ont pas beaucoup d’espoir sur leur avenir », analyse un sociologue iranien. La baisse de l’inflation sous le président Rohani (10% contre 40% avant son arrivée au pouvoir), l’accord nucléaire et la levée partielle, depuis janvier 2016, des sanctions contre l’Iran, « tout cela, pour nous, n’a rien changé, se désole Soroush. A Izeh, les jeunes sombrent dans la drogue. Nos députés ne sont élus qu’en raison de leur appartenance à telle ou telle tribu. C’est le règne du népotisme et du favoritisme. La méritocratie n’existe pas ici ». Mohammad partage l’avis de Soroush. « Je ne fais pas confiance à ce système, et encore moins aux réformateurs, dit celui qui n’a pas voté pour Hassan Rohani. Je veux un vrai changement que je ne pourrai pas, en l’état actuel des choses, obtenir par les urnes. C’est pour ça que je descends dans la rue. » GHAZAL GOLSHIRI (1) Tous les prénoms ont été modifiés pourdes raisons de sécurité.