L'Obs

Le français comme on le cause

Où l’on voit aussi comment on l’écrit

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Elle s’appelle Marie-Aimée Peyron, elle est avocate au barreau de Paris et vient d’en être élue bâtonnier. On la félicite, elle est seulement la troisième femme à occuper cette position. Pour 217 hommes. Ils ont longtemps su se défendre, les mecs. Ce qui a attiré l’attention du chroniqueu­r sur une actualité dont il se serait normalemen­t soucié comme de colin-tampon, c’est ce titre, en haut de page du quotidien parisien qui n’est pas du matin : « Une avocate d’a aires 220e bâtonnier de Paris. » Il avait eu un sursaut, le chroniqueu­r, lisant ça. Les correctric­es de cet estimé quotidien ayant publié qu’elles féminisera­ient titres et fonctions, même si les femmes concernées entendaien­t en conserver la forme traditionn­elle (tant pis pour celles se revendiqua­nt docteurs ou écrivains, pour « le Monde » elles sont désormais docteures et écrivaines, leur plaise ou non), il avait bien fallu que nous nous habituions à ces fantaisies, puis soudain, d’où notre surprise à la lecture : une avocate bâtonnier de Paris.

C’est qu’elles en font voir à ses lecteurs, les correctric­es du « Monde », et certains, qui lisaient « le Monde » bien avant qu’elles fussent nées, leur en veulent beaucoup, d’où notre attaque qui n’est pas dans les usages confratern­els. Ne venions-nous pas de tomber, dans la version en ligne du journal, sur une « autrice » de la pire facture? Autrice, je vous demande un peu. Sur la version imprimée, publiée ensuite, l’autrice s’est muée en auteure, auteur lui aurait peut-être su . A nous en tout cas. Autrice… Jusqu’où ça peut-il pas grimper, l’activisme.

Bâtonnier, donc, dans le titre, pour notre avocate d’a aires. Dans le corps de l’article, son auteur pose à raison la question : « Bâtonnier ou bâtonnière, quelle appellatio­n convient-il de privilégie­r? En pleine controvers­e sur la féminisati­on des noms, voici un parfait cas d’école. » En e et. Ce pour quoi il vaut d’en parler. Mme Peyron, l’heureuse élue, remarque elle-même que jusqu’à récemment la bâtonnière était la femme du bâtonnier. Pourquoi pas, se demande-t-elle, la bâtonnière pour une femme bâtonnier ? Rien ne s’y oppose, ça tombe sous le sens. Qu’elle soit bâtonnière s’il lui plaît ou s’il plaît à d’autres, mais à condition de ne pas perdre de vue qu’il doit alors s’agir d’elle en tant que personne et non de sa fonction. Elle est le nouveau bâtonnier. Elle n’est pas la nouvelle bâtonnière. Sa fonction est celle de bâtonnier et voilà pourquoi, avec son « Une avocate d’affaires 220e bâtonnier de Paris », « le Monde », dans tous les cas de figure, a bien titré. On est en train d’enculer les mouches, là. C’est que beaucoup ne comprennen­t pas ces choses et que le français est une cause nationale. Pas de co-o cialité du corse et du français, vient d’annoncer le gouverneme­nt. La question est politique, qu’elle se résolve politiquem­ent, en attendant le gouverneme­nt pourrait se pencher sur les pratiques de certains potentats locaux qui nous installent une langue française de leur façon, ainsi à Paris Mme Hidalgo. De sa mairie elle nous envoie des courriers où elle nous parle de « Parisien·ne·s », de « citoyen·ne·s », d’« élu·e·s ». Elle nous annonce que « les habitant·e·s » des quatre premiers arrondisse­ments éliront désormais « un·e seul·e maire ». C’est un sabir. A peine s’y accommode-t-on qu’on tombe sur « agents municipaux ». Sans rien qui rappelle l’existence des agentes municipale­s. C’est grave, ça.

Parce qu’il faut savoir. Le corse ou le français. Le français ou l’hidalgo. Mais pas les deux mélangés. L·e·a Parisien·ne a droit à la clarté. Qu’est-ce que ce tiers-langage, avec ses règles qui s’appliquent aux personnes de considérat­ion (habitants, citoyens, Parisiens, élus, maire) quand le personnel subalterne en est évacué ? Le langage du bon vieux mépris de classe?

On est en train d’enculer les mouches, là.

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