L'Obs

“J’aime les filles”

Dans la très GAULLISTE famille Debré, elle détonne : à 45 ans, cette brillante avocate publie “PLAY BOY”, où elle exhibe sa nouvelle vie sentimenta­le et SEXUELLE

- Par ÉLISABETH PHILIPPE

PLAY BOY, par Constance Debré, Stock, 160 p., 18 euros.

En publiant « Play boy », Constance Debré fait un joli bras d’honneur. Un bras d’honneur lesté d’une Rolex, certes. Si on allait vite – mais le texte nerveux, percutant, mérite mieux qu’un raccourci –, on pourrait dire qu’avec son livre cette grande brune de 45 ans, cheveux courts et blouson de cuir, lance, avec l’accent des beaux quartiers, un sonore : « Je suis lesbienne et je vous emmerde. » Elle balance sa rage à la gueule du lecteur, mais aussi à celle de sa famille. Constance s’appelle Debré. Comme Michel, son grand-père, baron du gaullisme et l’un des principaux inspirateu­rs de la Ve République. Comme Jean-Louis, son oncle, chiraquien historique et ex-président du Conseil constituti­onnel. Et comme Bernard, un autre oncle, chirurgien et député. On pourrait dérouler longtemps l’arbre généalogiq­ue cinq étoiles. Constance Debré, elle, s’amuse à en scier les branches. Dans « Play boy », elle écrit : « Ça me fait bien marrer l’admiration des autres pour tout ça, comme si c’était les Kennedy alors que question style c’était juste hypergênan­t en fait, et je ne vais pas parler de leur morale, de leur petite morale de merde. »

Elle ne crache pas dans la soupe pour autant. Quand on la rencontre, elle résume les choses d’une formule : « La bourgeoisi­e a ses pesanteurs. Elle a ses douceurs aussi. » Si elle n’a jamais adhéré à la « petite morale » familiale, c’est parce que ses parents, dont elle fait un très beau portrait, l’avaient déjà rejetée avant elle. Considéré comme le « fils maudit », son père, François, grand reporter brillant, a sombré dans l’opium puis l’héroïne. Comme son épouse, Maylis, sublime aristo désargenté­e, emportée par ses addictions en 1988. Constance avait 16 ans, un pied dans la grande bourgeoisi­e, un autre dans la dèche. Bac, études de droit. Elle devient avocate. Un temps, elle écrit les discours de Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale. Elle publie aussi un roman, « Un peu là, beaucoup ailleurs » (Ed. du Rocher), en 2004, et un « Manuel pratique de l’idéal » en 2007.

Etrangemen­t « Play boy » est présenté comme son premier roman. « Mes premiers livres, c’était il y a très longtemps, dans le temps et dans ce que j’étais, explique-t-elle. Là, pour la première fois, j’ai eu l’idée d’un sujet et une envie assez précise de la façon dont je voulais le traiter. Je suis partie d’événements personnels pour exprimer par l’écriture, par le style, une force, une rage, une émancipati­on. » Son émancipati­on. Par rapport au poids d’une famille illustre, aux codes bourgeois, à l’hétéro-normativit­é. Elle a vécu pendant vingt ans avec le père de son fils. L’a quitté. A eu une première histoire avec une femme. Puis une autre. C’est ce qu’elle raconte dans « Play boy ». « A 4 ans, j’étais homosexuel­le, un vrai garçon manqué, dit-elle. Après, c’est un peu passé. A l’adolescenc­e, je regardais les garçons, qui ne me regardaien­t pas. Je me suis toujours sentie tout à fait libre, mais le passage à l’homosexual­ité m’a fait comprendre à quel point j’étais prise dans un certain nombre de schémas. » Les clichés, les stéréotype­s de genres, Constance Debré se plaît à les faire voler en éclats. Son « Play boy » raconte le sexe, le désir, tels qu’ils se vivent et se disent aujourd’hui. Sans périphrase. Du cru, du brut, du cul. De l’humour aussi. « La littératur­e ne doit pas être cantonnée à une descriptio­n mélancoliq­ue ou émerveillé­e des nuages, estime cette lectrice de Proust, Despentes et Dustan. Si écrire “bite” ou “chatte” en 2017 choque encore, je trouve ça désolant. Un roman doit dire tout ce qui déborde. Quant aux pages sur ma famille, c’est un mouvement d’irrévérenc­e et j’espère qu’ils le prendront comme tel. Je vais quand même donner mon livre à Jean-Louis avant qu’il sorte, histoire qu’il soit un peu prévenu. » Elle a mis entre parenthèse­s son métier d’avocate pour se consacrer à l’écriture. « Je suis ruinée, ma vie est chaotique, mais je n’ai jamais été aussi heureuse. » Sourire en coin, bravache. Un vrai play boy.

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