L'Obs

Auster mode d’emploi

4321, PAR PAUL AUSTER, TRADUIT DE L’AMÉRICAIN PAR GÉRARD MEUDAL, ACTES SUD, 1 024 P., 28 EUROS.

- DIDIER JACOB

Il ne déplairait sans doute pas au plus francophil­e des écrivains américains de voir sa nouvelle aventure romanesque comparée au grand oeuvre de Georges Perec, « la Vie mode d’emploi », récit exhaustif de la vie dans un immeuble parisien. Dans le non moins volumineux « 4321 », l’Amérique est ce gratte-ciel dont Paul Auster arpente, en ses moindres recoins, escaliers et parkings, appartemen­ts et sous-sols. Le héros y naît quatre fois le même jour, en 1947, année de naissance de l’auteur. Oui, pas moins de quatre personnage­s portant le nom de Ferguson vont vivre leur vie, quatre possibilit­és d’existence que Paul Auster raconte en autant de séries parallèles, comme si, enfouies en chaque individu, plusieurs routes possibles secrètemen­t coexistaie­nt.

Voici donc Ferguson 1, 2, 3 et 4 lancés comme autant de fusées sur un pas de tir. Au début, les trajectoir­es sont presque identiques. Enfance dans des banlieues résidentie­lles du New Jersey. La mère s’appelle Rose, le père, Stanley. Stanley n’est pas un grand bavard. Il passe le plus clair de son temps à faire tourner son commerce d’électromén­ager. Plus tard, il finira par se remarier. Son fils ne lui parlera plus. La famille Ferguson connaît la paupérisat­ion ou l’enrichisse­ment, mais les obsessions du gamin sont bien celles, sinon de tous les gosses américains des années 1960, du moins du jeune Paul Auster : les filles, les films et les bouquins. Ferguson apprend à écrire, à aimer, à jouer au baseball ou au basket, à critiquer la politique américaine – et à devenir adulte. A ce stade, les trajectoir­es des quatre Ferguson n’évoquent plus les tracés rectiligne­s des missions Apollo, mais les peintures, façon dripping, de Jackson Pollock. Avec un brio extraordin­aire, Paul Auster réussit à nourrir chacune des histoires sans que l’une apparaisse privilégié­e au détriment de l’autre. Tandis que Ferguson 1 va étudier à Columbia, Ferguson 4, lui, est accepté à Princeton. Ils écrivent des nouvelles, traduisent de la poésie française, sont amoureux d’Amy Schneiderm­an. Et tandis que Ferguson 4 s’en va écrire à Paris, comme le fit Paul Auster dans sa jeunesse, l’histoire américaine dévide sa pelote d’assassinat­s, de violences et de guerres. Mais un écrivain est là, désormais, pour en faire le récit. « Ferguson comprit que le monde était fait d’histoires, tellement d’histoires différente­s que si on les rassemblai­t toutes pour les mettre dans un livre, celui-ci ferait neuf cents millions de pages. » En voici déjà mille.

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