L'Obs

Almendros s’envole

FAIRE MOUCHE, PAR VINCENT ALMENDROS, MINUIT, 128 P., 11,50 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Connaissez-vous Saint-Fourneau? Non, et vous ne manquez rien. C’est, dans un paysage auvergnat et montagneux, « un village isolé, au milieu de rien ». Le narrateur, Laurent Malèvre, y est né et, n’était le mariage de la cousine Lucie, il se serait bien passé d’y revenir. A côté, plus précisémen­t dans le hameau situé à 5 kilomètres où il a grandi, dont les maisons sentent le chou et aux abords jonchés de baignoires renversées et de chaises dépaillées. Pas envie de revoir ce lieu sinistre, de renouer avec sa mère, qui perd la boule, de revoir son oncle, malade d’un cancer du poumon, de découvrir que, depuis la mort de son père garagiste, les deux vivent ensemble, bref, de remuer la boue du passé, de réveiller une enfance chagrine dans une famille pauvre. Le fils prodigue a pourtant choisi de faire le voyage et bonne figure.

Depuis la grande ville, il arrive, en Nissan, avec sa fiancée, qu’il compte bien présenter aux siens. Enfin, sa fiancée. C’est plus compliqué. La vraie se prénomme Constance, elle a disparu on ne sait où ni comment, et celle qui l’accompagne est Claire. Elle ne va pas être déçue du séjour. Ici, tout est glauque, poisseux, douteux. Même la bouffe est suspecte, surtout la langue de boeuf. Il est vrai que la rumeur attribue à la mère l’empoisonne­ment de son mari et qu’elle donnait à boire de l’eau de Javel à son fils, quand il était petit. Une mère au visage « hommasse et boursouflé », « carapacée dans un gilet en laine mangé aux mites », parfaiteme­nt accordée à l’oncle, dont la veste de survêtemen­t ne peut cacher un ventre gonflé – « deux veufs qui s’étaient épaulés », pense Laurent avec un peu de dégoût. « Faire mouche » raconte sa brève et déplaisant­e visite aux siens, avec escapade au lac, jusqu’à l’instant où la famille mal endimanché­e s’apprête à se rendre au mariage…

Deux ans après « Un été », irrespirab­le thriller marin, Vincent Almendros, 39 ans, signe un étouffant thriller campagnard. Exceptionn­el peintre d’atmosphère et jongleur de non-dits, ce cousin germain, sous l’étoile de Minuit, de Tanguy Viel et d’Yves Ravey a décidément l’art de créer des atmosphère­s si lourdes et oppressant­es qu’on dirait des prisons à ciel ouvert et de mener, sans coupables ni victimes apparents, sans résolution­s non plus, de véritables intrigues policières. Tout cela écrit dans une langue parfaite, faussement laconique, et dont même l’apparente simplicité est piégeuse. On a compris que cet écrivain fait mouche, une fois encore, et qu’il faut sans tarder savourer, sur une famille en décomposit­ion, son roman noir au goût acide de vin de noix et de feuilles pourrissan­tes. On le conseille même aux estomacs fragiles.

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