Rolin chez les Kurdes
LE TRAQUET KURDE, PAR JEAN ROLIN, P.O.L, 176 P., 15 EUROS.
Notre zélé ministre de l’Intérieur a beau rendre la vie impossible aux malheureux qui croient trouver refuge au pays des droits de l’homme, on lui souhaite du courage pour chasser le migrant qui fut « formellement identifié », au printemps 2015, au sommet du puy de Dôme, par un ornithologue amateur. C’était « un traquet kurde mâle, solitaire », qu’il ne faut confondre ni avec le traquet oreillard, ni avec la sittelle de Neumayer, ni avec la rousserolle des buissons. Au moment où « une milice kurde d’obédience marxiste-léniniste » contenait de son mieux « un assaut de l’Etat islamique contre la ville de Kobané », ce passereau de petite taille se trouvait « à quelques milliers de kilomètres tant de sa zone d’hivernage que de sa zone de reproduction ».
Il n’en fallait pas plus pour que Jean Rolin, cet oiseau rare, déploie ses ailes de grand reporter et sa plume de grand écrivain pour traquer à son tour le traquet kurde. Pour son enquête, l’auteur de « l’Homme qui a vu l’ours » a approché des ornithologues sur l’île d’Ouessant, dans le Hertfordshire et même à Villedieu-les-Poêles, où l’on contemple des mésanges charbonnières et des mésanges bleues. Puisque de nombreux cas historiques témoignent de « la relation qu’entretient l’ornithologie avec la guerre, l’espionnage ou la diplomatie », il en a profité pour recomposer l’incroyable vie d’un certain Meinertzhagen, le pire ami de T.E. Lawrence, une belle langue de pute, et un imposteur qui pilla les découvertes de ses confrères pour être en mesure de léguer, au British Museum, « une collection d’oiseaux qui compte plus de 20 000 pièces ». Enfin, il a escorté Christophe Boltanski dans les montagnes du Kurdistan irakien, peuplées d’alouettes, de Peshmergas du PKK, et de moines syriens orthodoxes protégés par « un unique garde, certes armé d’une kalachnikov, mais occupé d’autre part à l’entretien d’un clapier rempli de lapins noirs ». Là, il a dégainé ses jumelles pour inspecter le décor et repérer son premier « spécimen de traquet kurde ». Personne ne l’ayant mis en prison, il a pu rapporter ce précis d’humour pince-sans-rire et d’histoire coloniale, qui réconcilie la géopolitique et l’avifaune, la prose du monde et la poésie pure.