La tempête ne souffle pas
LA TEMPÊTE, PAR WILLIAM SHAKESPEARE, EN ALTERNANCE JUSQU’AU 21 MAI, COMÉDIE-FRANÇAISE, PARIS-1ER. RENS. : 01-44-58-15-15.
« Avec le cochon de lait, la féerie est ce que je connais de plus lourd », soupirait Flaubert. Qui, soyons honnête, ne pestait pas en l’occurrence contre les sublimes féeries shakespeariennes, mais les pièces à machines, prémices du cinéma fantastique, qu’affectionnait la foule de son temps. A la création de « la Tempête » (1611), le gros des spectateurs croyait dur comme fer aux prodiges. Fées, sorcières et enchanteurs n’avaient pas encore été chassés de notre univers. Accoutumé aux effets spéciaux d’« Avatar » et de « Star Wars », le spectateur du xxie siècle s’en laisse moins conter. Si « le Songe d’une nuit d’été », « le Conte d’hiver », « Périclès, prince de Tyr » ou « la Tempête » le séduisent, c’est grâce à la poésie et la sagesse qui s’en dégagent.
Le Canadien Robert Carsen, retenu pour mettre en scène « la Tempête » à la Comédie-Française, s’intéresse si peu à l’aspect fantasmagorique de l’oeuvre qu’il en élude effrontément l’ouverture : le naufrage du navire au large de l’île du magicien Prospero, ancien duc de Naples détrôné par son frère. Plus de vents hurlants, plus de flots en courroux, plus de marins affolés de peur, plus d’île mystérieuse peuplée d’esprits. Prospero gît en pyjama sur un lit d’hôpital, inconscient, au centre d’une chambre grisâtre et vide, au fond de laquelle sont projetées des images de vagues en noir et blanc. Si le conteur ne fait pas un peu semblant d’y croire, l’histoire n’étant plus que le rêve d’un vieillard comateux sur le point de sortir de la vie, pourquoi lui prêterait-on l’oreille ? On ne peut imaginer spectacle plus terne. Il semble qu’on s’ennuie autant sur scène que dans la salle. Même Michel Vuillermoz (Prospero, ci-dessous avec Christophe Montenez) paraît éteint. Seul Hervé Pierre réussit à donner un peu d’éclat à son personnage de clown.
On n’ose convoquer ici le souvenir de la magique « Tempête » naguère orchestrée par Giorgio Strehler. Ceux qui l’ont vue n’ont pas oublié l’envol du tendre Ariel dans le cintre de l’Odéon. Ni l’effondrement final des tréteaux quand le naufrageur renonce à se venger de l’usurpateur et se dépouille de ses pouvoirs surnaturels. Vue par Carsen, la dernière pièce de Shakespeare n’est pas seulement testamentaire, elle est mortelle.