La caverne d’Ali Kazma
ALI KAZMA. SOUTERRAIN, JEU DE PAUME, PARIS-8E, 01-47-03-12-50. JUSQU’AU 21 JANVIER.
La première salle de cette exposition hypnotise. Sur deux écrans distincts, on voit un employé de bureau, le visage impassible, tamponner des formulaires administratifs à une vitesse sidérante (ci-dessus, « Clerk », 2011). Le bruit du caoutchouc s’écrasant sur le papier rythme cette vidéo des temps modernes. Sur une cimaise contiguë, un écran montre un horloger en train de remonter – pièce par pièce – une horloge ancienne. Les gestes sont précis, la main de l’artisan plaçant (à l’aide d’une pince) rouages, ressorts, pignons et axes. Le mécanisme prend vie peu à peu, ses mouvements, amples ou ténus, venant composer le ballet mystérieux des heures. Né à Istanbul en 1947, Ali Kazma aime visiblement prendre son temps. Il travaille le plus souvent en solitaire, assurant lui-même le tournage et le montage de ses oeuvres. Il choisit les sites ou les moments les plus insolites, mais aussi les plus significatifs : ce peut être une usine de fabrication de câbles électriques, un bâtiment du Grand Nord où sont conservés des centaines de milliers de variétés de graines ou bien une ancienne base de l’Otan envahie par la végétation, ses salles trahissant la présence de vestiges militaires. Ici, la nature recouvre les dispositifs de défense nucléaire, revanche de la vie sauvage sur les armes de destruction massive. Silencieuses le plus souvent, les vidéos d’Ali Kazma sont en fait de véritables fictions structurées par les techniques de montage et d’exposition (diptyques, triptyques, écrans agissant en interaction). Ces récits racontent un monde bien réel. Et pourtant, leurs images semblent issues d’un univers parallèle, inconnu. Nombre d’artistes utilisent la vidéo comme un gadget. Ali Kazma, lui, élabore par ces moyens une véritable oeuvre d’art. Fascinant.