L'Obs

La bourse et la vie

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La pochette au poignet de la jeune fille ci-dessus n’a pas de nom. Il y a quelques mois, ce sac est apparu lors du défilé printemps-été 2018 de Burberry, accompagné d’une brise de désirabili­té dans les rangs. Le voici enfin dans le commerce. Et votre serviteuse a sauté sur cette trousse, poussée par une sensation d’urgence qui fait le succès des choses. C’était comme si cet objet incarnait la modernité absolue avec ses bandes fluo, sa forme inédite, et d’ailleurs, par cette forme, c’était comme s’il nous libérait du sac. En même temps, au lieu d’être juste un produit actuel de plus, cette trousse m’a reliée à ce que je suis vraiment. Et, aussi petite soit-elle, j’ai pu me projeter dedans. L’objet me rappelle à la fois les trousses d’écolier (régression), les sacs de gym des années 1960 (régression), les rustines de mes premiers vélos (régression), et l’écossais en rajoute une couche au cas où. J’ai donc obéi à une pulsion irrésistib­le d’acquérir à la fois demain et hier. Mais, encore plus fort, des jeunes nées en 2000 m’ont dit être aussi sensibles à cette nostalgie d’un monde qu’ils n’ont pourtant pas connu. Voilà comment les best-sellers se font. D’autant que ce sac, en toile, ne doit pas coûter bien cher à produire. La leçon à en tirer : chaque année, des tas de marques sortent des sacs, sur lesquels des tas de « gens du marketing » ont donné leur avis à toutes les étapes du processus. Chaque année, ces sacs contiennen­t des tas d’éléments supposés les rendre efficaces, et chaque année des tas de sacs ne se vendent pas. Comme ces manuscrits dont les éditeurs zélés retirent répétition­s et longueurs, les sacs répondant à tous les critères de perfection… font des bides. Car pour inventer le sac du moment, il faut autre chose. Il faut de l’instinct, il faut de l’inconscien­t. Et il faut de l’enfance.

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