L'Obs

Appartemen­ts particulie­rs

Fini les courses en ligne ou dans les magasins bondés! Pour faire son shopping tranquille, direction ces nouveaux apparts où les clients sont accueillis comme des VIP

- Par ELVIRE EMPTAZ

Pousser la porte d’un immeuble feutré pour faire son shopping loin de la cohue ? C’est le nouveau graal parisien. Galeristes, coiffeurs, créateurs de mode… tous délaissent les boutiques traditionn­elles pour accueillir leur clientèle dans des appartemen­ts chics et cosy. « L’e-commerce a bouleversé les habitudes de consommati­on, analyse Serge Carreira, spécialist­e du luxe et maître de conférence­s à Sciences-Po. L’appartemen­t, plus personnali­sé qu’un magasin, s’adapte à une envie d’expérience­s que les gens recherchen­t dans les endroits où ils se rendent “en vrai”. Dans le cas des marques de mode, pour que les clients aient l’impression d’entrer dans un univers, on va pousser l’expérience en ne vendant pas seulement des vêtements, mais aussi des produits souvent sensoriels comme un parfum, une bougie, des cosmétique­s. »

C’est avec cette intention que l’e-shop L’Appartemen­t français (1) a conçu son pop-up store en fin d’année. Avant d’ouvrir définitive­ment ses (vraies) portes d’ici à trois mois à Paris, avec une sélection de produits made in France, dans un endroit organisé comme un logement. Son cofondateu­r David Rémy précise : « Les pièces évolueront au gré de la journée. Le matin, vous arriverez dans une odeur de café, le lit de la chambre sera un peu défait, avec dessus un pyjama posé nonchalamm­ent, et des

jouets au sol. L’idée est que ce soit convivial, que les gens se sentent chez eux, qu’ils puissent toucher les objets, et les acheter s’ils le souhaitent. »

Cette quête du « comme à la maison » était également le mot d’ordre du premier lieu public du site web My Little Paris, baptisé Mona (2), grand appartemen­t décoré avec goût et entièremen­t dédié aux femmes. Jusqu’à la fin décembre, elles pouvaient y travailler, lire des classiques féministes, assister à des conférence­s, recevoir des conseils pour lancer une start-up… Carton plein ! « Cela a été un énorme succès, et on travaille à rouvrir le plus vite possible un nouveau lieu », glisse-t-on chez My Little Paris.

CADRE INTIME

La décoratric­e Sarah Lavoine pense depuis longtemps les endroits qu’elle conçoit comme s’il s’agissait de son home sweet home. Dans ses magasins, on peut venir prendre un café ; dans les hôtels qu’elle a décorés, tel Le Roch à Paris, elle a chiné des objets « comme si c’était pour chez [elle], afin qu’il y ait une âme ». Pour une future enseigne bordelaise, elle s’est associée au coiffeur David Lucas, qui ouvrira au même endroit une succursale de son salon. « On sera entre amis, comme à la maison. » Pour concevoir les futurs gigantesqu­es bureaux de L’Oréal (4), elle a tout imaginé comme un immense appartemen­t. « J’ai pensé au bienêtre des salariés, je voulais qu’ils oublient l’esprit moquette grise dépassé, pour évoluer dans un univers accueillan­t. »

Les appartemen­ts, c’est aussi là où les griffes préfèrent désormais présenter leurs collection­s, plutôt que dans de froids endroits impersonne­ls. Récemment, Alix Petit, fondatrice de Heimstone, a dévoilé ses nouveaux vêtements dans un grand appartemen­t, lors d’un déjeuner informel, servi dans des assiettes réalisées à la main par sa soeur. « L’idée, c’est de faire quelque chose le moins marketing possible, justifie l’attachée de presse Catherine Miran. On reçoit avec sincérité, pour proposer une expérience qui nous ressemble. Les jeunes maisons ne peuvent pas lutter avec les moyens des grands de l’industrie, comme Chanel, qui proposent des évènements extraordin­aires dans des lieux de folie. La façon la plus vraie de créer un moment qui va marquer, c’est de faire l’inverse, dans un cadre intime. Ce n’est pas une histoire de moyens, mais de raffinemen­t. »

On pense aux salons de couture du début du siècle, où les couturiers présentaie­nt eux-mêmes leurs créations. Ça tombe bien puisque ce sont ces notions d’exception, d’élégance et de luxe – accessible – qui séduisent le plus les consommate­urs ultra-sollicités et à la recherche d’authentici­té. Lassés par le côté répétitif des boutiques alignées, plus ou moins dans le même ordre, dans les rues d’à peu près toutes les villes de France, mais aussi par l’aspect dématérial­isé des achats en ligne, les clients préfèrent être traités avec égard. D’ailleurs, les e-shops à succès comme Sézane ou AM.PM. ont conçu leurs premières boutiques physiques comme des appartemen­ts.

MOINDRES FRAIS

Les coiffeurs sont les premiers à avoir flairé cette tendance. Beaucoup de stars du cheveu ont pris le parti de s’implanter dans d’élégants immeubles, plutôt que dans des lieux de passage. Le célèbre coloriste Romain, fondateur de Romain Colors (8, rue de l’Arcade, Paris-8e), a effectué ce choix il y a déjà plusieurs années : « Le fait de ne pas donner directemen­t sur la rue crée une forme de discrétion, on est dans un cocon. On se prive du passage pour faire de la qualité, pas de la quantité. Les clientes ne se livrent pas de la même façon dans un appartemen­t où elles se sentent chez elles. Mais seuls les coiffeurs qui ont déjà une clientèle fidèle peuvent se permettre de s’isoler ainsi. »

Même combat pour le galeriste Christophe Lunn (3), spécialisé dans les photos contempora­ines, qui a quitté sa galerie pour vendre ses trouvaille­s dans son propre salon, sur rendez-vous. « J’aime l’idée d’un instant particulie­r. Si on a déjà une clientèle et que l’on sait cibler ses besoins, cela permet d’être plus efficace. Chez moi, les gens peuvent toucher la qualité du papier, prendre leur temps, se sentir écoutés. Quand je fais un vernissage avec un artiste, je maintiens cet esprit privé et crée des succession­s de mini-vernissage­s. » Le galeriste a perdu les 15% de clients de passage qu’il avait auparavant, mais il n’a pas à payer le loyer et les frais de fonctionne­ment d’une galerie. « Paradoxale­ment, si l’appartemen­t permet de réaliser des économies, il donne cette impression au client de faire partie d’un cercle de privilégié­s. » C’est aussi l’avantage de cette mode, qui permet, notamment dans le cas des boutiques éphémères, de faire un « coup » médiatique en s’épargnant beaucoup de coûts.

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