BIBLE CORAN
FAUT IL LES REECRIRE ?
Sarah Halimi, Mireille Knoll, il aura fallu que deux vieilles dames juives soient assassinées, à un an d’intervalle, l’une à coups de couteau chez elle, aux cris de « Allahou akbar », l’autre poignardée elle aussi avant d’être brûlée, pour qu’on ose enfin nommer le mal. L’existence d’un antisémitisme chez une partie de nos compatriotes musulmans. Celui-ci, comme l’explique l’imam de Bordeaux Tareq Oubrou au cours de son dialogue avec Daniel Sibony, (voir p. 18) ne reste plus cantonné aux préjugés qui se chuchotent, mais il s’exprime ouvertement, et de plus en plus souvent violemment. Il a été à l’origine de multiples agressions, et, dans certains quartiers, d’un exode désormais visible de familles juives.
A quelques jours d’intervalle, deux manifestes se sont émus de la montée de cette haine des juifs qui n’est pas un simple recyclage des vieux antisémitismes hexagonaux, même s’il peut en emprunter les clichés. Comme le montre Pierre-André Taguieff dans son dernier livre (« Judéophobie. La dernière vague », Fayard), cet imaginaire judéophobe s’est ancré en France après la seconde Intifada, en 2000, et il est imprégné de l’idéologie antisémite qui s’est développée dans le monde arabo-musulman post-nassérien.
L’un de ces manifestes, signé par 300 personnalités, lie cet antisémitisme au texte même du Coran. Il propose de « frapper d’obsolescence » les passages les plus violents. L’autre, signé par 30 imams, juge qu’il est le fruit vénéneux d’une lecture ignorante des subtilités historiques et scripturaires du texte sacré par une minorité de criminels. Selon eux, les musulmans antisémites font une lecture anachronique du Coran. Ils proposent donc d’historiciser le texte (de nombreux passages violents s’inscrivent, disent-ils, dans un contexte de guerre entre Mahomet et des tribus juives de Médine) et de prendre les distances avec lui, ce que permet, quoi qu’en disent les intégristes, la véritable tradition islamique fondée sur la pluralité des interprétations.
Faut-il réécrire le Coran ? La question suscite souvent l’indignation. Elle conduit irrémédiablement à renvoyer dos à dos la violence intrinsèque de tous les textes sacrés. Les Hadiths ou les sourates contre l’Evangile selon saint Jean, les contempteurs des mécréants du Livre contre ceux du peuple déicide (voir l’interview de Pierre Encrevé p. 22). La demande d’expurger les textes fondateurs des monothéismes chrétien et musulman est ancienne. Elle a la violence des autodafés et des déboulonnages de statues. Et il y a un consensus, chez nos contributeurs en tous les cas, sur son inefficacité. Expurger la parole de Dieu, c’est finalement un voeu pieu d’incroyant. Pourtant, même si c’est pour en écarter l’absurde possibilité, la question de la réécriture posée par ces 300 pétitionnaires permet de lever un tabou. Le Coran n’est pas un sujet interdit, ni la critique de l’islam un blasphème occidental. « Curieux que les musulmans aient fait de leur livre saint une idole, lui dont le message est si féroce à l’égard des idoles », s’amusait le chercheur tunisien Abdelwahab Meddeb. Comme l’écrit la journaliste Zineb El Rhazoui (p. 24) « ce qui se joue a travers cette bataille des pétitions, c’est que l’omerta qui a entouré le dogme islamique est en train de céder à l’esprit critique et anticlérical français ». Dieu l’entende.