L'Obs

LA SOLITUDE D’EMMANUEL MACRON

- Par DANIEL COHEN Directeur du départemen­t d’économie de l’Ecole normale supérieure. D. C.

L’accueil réservé à Emmanuel Macron par Donald Trump tranche avec le traitement accordé à Angela Merkel ensuite. Le premier a été accueilli avec toutes les pompes d’une visite d’Etat, discours au Congrès, réception en fanfare. La seconde a été reçue en catimini, sans aucune empathie. Tout oppose pourtant Trump et Macron, ce que ce dernier n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler, avec un certain panache, devant le Congrès américain. L’idée d’un ordre multilatér­al, ouvert, régi par des règles, défendu par le président français, est à l’opposé de celui voulu par Trump. Leur sympathie ne semble pourtant pas feinte. Les tapes dans le dos à répétition, les « I love this guy » ou le petit brossage de la veste pour chasser les pellicules, ce que le « Guardian » a appelé la « dandruff diplomacy », témoignent à la fois d’un paternalis­me ridicule et d’une proximité réelle. Trump et Macron incarnent l’un et l’autre le monde de la post-politique. Tous deux ont accompli « le casse du siècle », prenant le pouvoir par surprise, surfant sur la détestatio­n du monde politique traditionn­el. Angela Merkel est à l’autre bout du spectre. Elle a forgé laborieuse­ment un compromis avec l’autre force vieillie de la vie politique allemande, le Parti social-démocrate. Son propre parti, la CDU, la tient en laisse, brisant par avance toute velléité réformatri­ce.

Les Français auraient tort de se réjouir trop vite de cette différence de traitement. C’est la fragilité de l’Europe que Trump met en scène. Il appuie là où ça fait mal. Les excédents allemands sont en train de prendre des proportion­s délirantes, atteignant plus de 8% du PIB. La zone euro dispose, de leur fait, d’un excédent de presque 400 milliards d’euros, le triple de l’excédent chinois, et qui est exactement égal, par coïncidenc­e, au déficit américain. Ce faisant, c’est l’Europe dans son ensemble et la France en particulie­r qui pourraient faire les frais de ce déséquilib­re si Trump mettait ses menaces protection­nistes à exécution, ou si l’Amérique engageait une guerre des monnaies qui ferait chuter brutalemen­t la valeur du dollar par rapport à l’euro.

En Europe même, l’étau se resserre autour de Macron. L’Allemagne de Mme Merkel, malgré des regards eux aussi plein de tendresse, s’écarte à vive allure des ambitions françaises. Le budget allemand présenté par le nouveau ministre des Finances, Olaf Scholz, social-démocrate, est plus restrictif que jamais et l’idée d’un budget européen s’éloigne. L’Italie est empêtrée dans une crise politique dont les acteurs sont les partis populistes, très distants de son programme libéral. Le fait central, que sa visite à Washington ne peut masquer, est que le monde va exactement à rebours de celui qui est prôné par Emmanuel Macron. Partout s’installe un pouvoir nationalis­te, phobique de la mondialisa­tion et des élites qui la défendent. Macron peut enflammer le Congrès américain ou le Parlement européen par des appels passionnés à un monde multilatér­al et ouvert, il est bien seul dans ce rôle. Comme le note l’éditoriali­ste du « Financial Times » Gideon Rachman, il a des admirateur­s, mais pas d’alliés.

C’EST LA FRAGILITÉ DE L’EUROPE QUE DONALD TRUMP MET EN SCÈNE. IL APPUIE LÀ OÙ ÇA FAIT MAL.

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