L'Obs

Love story Christophe Honoré renoue avec sa veine romanesque

Onze ans après “les Chansons d’amour”, CHRISTOPHE HONORÉ renoue avec sa veine autobiogra­phique et romanesque, en filmant une LIAISON homo au temps du SIDA. Rencontre

- Par NICOLAS SCHALLER

PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE, par Christophe Honoré, en compétitio­n et en salles le 10 mai.

« Je fais des films d’écrivain raté », se plaît à dire Christophe Honoré. Une coquetteri­e de réalisateu­r accompli ? « Plaire, aimer et courir vite », beau titre de roman, est celui de son film. Son plus personnel et émouvant depuis « les Chansons d’amour » : la love story empêchée, au début des années 1990, d’Arthur, un étudiant rennais, et de Jacques, un écrivain parisien de 20 ans son aîné, atteint du sida. « Arthur, c’est moi », pourrait lancer Honoré dans un élan flaubertie­n. Avant d’ajouter : « Jacques aussi. » L’un est une version fictive du jeune Breton qu’il était, orphelin de père, amoureux des livres et aspirant cinéaste rêvant de faire carrière à Paris. L’autre, une projection du mentor qu’il aurait aimé avoir, partage quelques points communs avec l’homme qu’il est aujourd’hui : l’homoparent­alité (Jacques a un fils, Honoré, une fille), le rapport torturé à l’écriture.

« Plaire, aimer et courir vite » est au centre d’un triptyque débuté avec « Ton père », son livre paru l’an dernier au Mercure de France, qu’Honoré décrit comme « une prise de parole contempora­ine sur mon statut de père homosexuel et l’homophobie que j’ai pu ressentir. J’y entamais un récit personnel que je poursuis avec ce film sur la transmissi­on : celle que j’aurais aimé vivre avec les artistes que j’ai admirés et qui étaient tous morts du sida quand je suis arrivé à Paris. Enfin, la pièce de théâtre que je répète en ce moment, “les Idoles’’, portera sur six figures homosexuel­les françaises qui ont compté pour moi dans les années 1990 : Serge Daney, Jacques Demy, JeanLuc Lagarce, Bernard-Marie Koltès, Cyril Collard, Hervé Guibert. Je n’ai jamais pu payer ma dette à ces gens qui m’ont initié à l’art, donné la force de m’affranchir de mon milieu, et cela m’est encore douloureux. Tous ces spectres traversent le film. »

Pour autant, il n’a rien de mortifère. C’est un drame ardent, une comédie triste, un mélo moderne. On y drague avec esprit au cinéma ou sans un mot sur des parkings, on y dit ses quatre vérités à coups de dialogues très écrits et néanmoins crépitants, on y flirte sur du Prefab Sprout et on fuit l’être aimé au son des « Gens qui doutent » d’Anne Sylvestre. Le film appartient à la veine, disons, populaire, de

l’hyperactif et aventureux Honoré, capable de passer des « Bien-aimés » avec Catherine Deneuve et sa fille Chiara Mastroiann­i à une adaptation contempora­ine et sans têtes connues des « Métamorpho­ses » d’Ovide, de mises en scène d’opéra à l’écriture de livres pour enfants. « Etre sur un terrain personnel permet d’atteindre des émotions, des sentiments plus francs et directs, qui prêtent davantage à l’identifica­tion », note Honoré. L’amour, c’est gay, l’amour, c’est triste. Arthur, qui butine entre son amie Nadine et ses coups d’un soir mais se montre irréprocha­ble envers Jacques, dont il défie l’éloquence avec une hardiesse juvénile, apporte au film sa légèreté. La gravité, la douleur d’une génération que le sida tuait, est du côté de Jacques, l’intellectu­el qui s’interdit d’aimer, très inspiré du romancier italien Pier Vittorio Tondelli : « Son roman “les Chambres séparées’’ traite, comme mon film, d’un amour entre deux personnes rarement ensemble et dont les chambres sont envahies par d’autres. Leur histoire se raconte par ce qu’ils vivent avec leurs amis, avec d’anciens amants. »

DE LOUIS GARREL À VINCENT LACOSTE

Arthur a la peau dure, Jacques met l’amour en fuite. Le premier est interprété par Vincent Lacoste, le second devait l’être par Louis Garrel, l’alter ego fictionnel d’Honoré depuis « Dans Paris ». « J’ai fini par admettre que physiqueme­nt, il n’y avait pas grandchose entre Louis Garrel et moi. Surtout au fur et à mesure des années et des kilos que je prends tandis que cet imbécile devient de plus en plus séduisant. » Plus sérieuseme­nt? « Louis nous a abandonnés à un mois du tournage pour des raisons qui lui sont propres et ont été très blessantes. J’ai failli ne pas faire le film. J’ai toujours bien aimé que, dans mes orchestres, il y ait des solistes que je connais pour donner le “la”. Aller sur un terrain personnel en compagnie d’acteurs avec lesquels je n’avais jamais tourné m’a obligé à abandonner ce que j’avais imaginé, des mois de réflexion et de préparatio­n. Ce n’est pas la pire façon de faire un film. » Et comment ! La fougue un peu gauche de Vincent Lacoste, qui ne cesse de se bonifier depuis « les Beaux Gosses », et le flegme intranquil­le de Pierre Deladoncha­mps, révélé dans « l’Inconnu du lac », héritier du rôle de Jacques – sans oublier Denis Podalydès en voisin et confident moustachu – apportent une énergie neuve au cinéma d’Honoré.

A Cannes, où il a présenté quatre de ses films, Christophe Honoré vient pour la deuxième fois en compétitio­n. La précédente, c’était en 2007 avec « les Chansons d’amour », accueilli chaleureus­ement par la presse d’ici, très froidement par l’internatio­nale. Un sort réservé à la plupart des auteurs français post-Nouvelle Vague sur la Croisette. Espérons qu’un autre facteur ne joue pas en sa défaveur : sa sélection un an après « 120 Battements par minute » de Robin Campillo qui traitait déjà, sous un autre angle et une forme différente, de l’homosexual­ité en France au plus fort des années sida. « Ce n’est pas un hasard si nos films arrivent vingt-cinq ans après. Longtemps, on ne s’est pas permis d’en parler en pensant que la priorité allait à la parole des malades, de ceux qui avaient affronté la mort. Il fallait du temps pour s’autoriser à le faire en tant que témoin et non victime. » A ceux qui sont restés de raconter l’absence des autres, qui les hante. Combien de téléphones sonnent dans « Plaire, aimer et courir vite » sans que personne ne décroche ? Au bout du fil, au bout du film, il y a quelqu’un qui ne répond pas.

 ??  ?? BIO Christophe Honoré est né en 1970 à Carhaix (Finistère). Ecrivain et metteur en scène, il a réalisé onze films dont « 17 Fois Cécile Cassard », « les Chansons d’amour », « la Belle Personne » et « les Malheurs de Sophie ».
BIO Christophe Honoré est né en 1970 à Carhaix (Finistère). Ecrivain et metteur en scène, il a réalisé onze films dont « 17 Fois Cécile Cassard », « les Chansons d’amour », « la Belle Personne » et « les Malheurs de Sophie ».
 ??  ?? Eté 1993 : Arthur (Vincent Lacoste), étudiant rennais, rencontre Jacques (Pierre Deladoncha­mps), écrivain parisien.
Eté 1993 : Arthur (Vincent Lacoste), étudiant rennais, rencontre Jacques (Pierre Deladoncha­mps), écrivain parisien.

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