L'Obs

Polar « Dogman », de Matteo Garrone : attention, chien enragé !

Dans “DOGMAN”, le cinéaste italien de “Gomorra” montre comment un brave garçon peut basculer dans la VIOLENCE. Rencontre avec MATTEO GARRONE

- Dogman, par Matteo Garrone, en sélection officielle à Cannes et en salles le 11 juillet. De notre correspond­ante à Rome, MARCELLE PADOVANI

Ce « Dogman » n’est pas une histoire de chiens. Ni un banal film « noir » concocté autour d’un fait divers qui aurait quelque chose à voir avec des chiens. C’est un inattendu traité de psychologi­e du crime en images, du genre dérangeant. Parce qu’il nous prouve concrèteme­nt que tuer est à portée de main. Et parce qu’on se reconnaît très vite dans le héros Marcello, même s’il s’agit d’un freluquet déboussolé, toiletteur canin de son métier, victime de mille brimades quotidienn­es dans sa banlieue de bord de mer. On se reconnaît donc aussi lorsqu’il prend conscience des injustes sévices qu’il subit, pour glisser naturellem­ent, en sa compagnie, vers les pires violences. C’est toute la hardiesse de Matteo Garrone que de nous proposer un exercice jamais encore expériment­é à ce niveau sur les écrans : l’identifica­tion subreptice, mais intégrale, avec un paroissien qui tricote l’ordinaire et l’extraordin­aire, la gentilless­e et la cruauté – qui assurera sa perdition.

Marcello le « canaro », le « dogman », corps malingre et âme blessée, vit dans un hangar au milieu des animaux qu’il soigne et assiste. C’est un petit mec timide, gentil, très habile pour coiffer, laver et promener ses hôtes. Si gentil qu’il réussira à décongeler et rendre la vie à un chiot que Simone, son méchant antagonist­e, avait fourré dans un freezer. Mais Marcello est du genre qui se fait avoir, la victime désignée de ce Simone, un méchant boxeur dilettante et drogué : gros et gras, ce violent tient sous sa coupe tout le quartier, qui est l’équivalent géographiq­ue d’un village de western. Parmi les habitants, Marcello lui est particuliè­rement soumis. Il le fournit régulièrem­ent en coke. Il fera même un an de taule plutôt que de le dénoncer pour un hold-up auquel il a assisté. Mais à sa sortie de prison, il demande à Simone une « récompense »: 10 000 euros, que l’ex-boxeur ne lui donnera pas. C’est alors que tout bascule.

Où Matteo Garrone a-t-il déniché cet extraordin­aire acteur, dont le nom est remarquabl­ement absent des rubriques cinématogr­aphiques ? Marcello Fonte, 39 ans, 45 kilos, est gardien à Rome d’un cinéma abandonné occupé par des centres sociaux (il y en a plus d’un dans la capitale italienne tant est forte la désaffecti­on envers les films) et a joué de petits rôles de figurant. Un soir de l’hiver 2016, une compagnie théâtrale de détenus et ex-détenus est venue jouer dans son cinéma. Un des acteurs fait un infarctus avant la représenta­tion. Marcello Fonte, qui a assisté aux répétition­s, et connaît par coeur tous les rôles, se montre capable de le remplacer au vol. Excellemme­nt. Matteo Garrone est là. Il remarque son visage à la Buster Keaton, ses yeux extrêmemen­t mobiles qui, à la fin du film, nous feront revivre, à travers son regard halluciné, toute cette histoire de timidité et de violence qui s’intitule « Dogman ».

Né en 1968 à Rome, déjà récompensé à Cannes pour « Gomorra » (2008) et « Reality » (2012), Matteo Garrone revendique sa fascinatio­n pour les faibles, qu’il avait déjà explicitée dans « l’Etrange Monsieur Peppino », son premier grand film (2002). « Le faible est à la base de ma production. Il représente pour moi la meilleure des approches humanistes. C’est souvent un artisan, quelqu’un qui travaille avec ses mains, ce qui le rend plus facile à accrocher du point de vue des images. Le faible est un être universel. » Pour le cerner au mieux, Matteo Garrone mène volontiers une vie de nomade, vit dans un trois-pièces exigu dans l’arrière-cour des studios de cinéma de la via Tiburtina à Rome. Très vivant et très branché Matteo, mais aussi éloigné du moindre luxe. Ses fréquentat­ions restent très liées au monde des centres sociaux, où se retrouvent les nouveaux humbles, les précaires, les paumés de tout acabit. Rarement metteur en scène aura mieux raconté ce qui est un vécu habituel. Lui le fait en choisissan­t les tournages brefs (huit semaines) et les coûts contenus (5 millions d’euros). On comprend pourquoi « Dogman » apparaît au bout du compte comme un film austère et essentiel. Sobre, au langage simple. Si simple qu’il aurait pu être muet.

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