L'Obs

L’humeur de Jérôme Garcin

- J. G.

O na oublié cet étonnant pied de nez du destin : Jean Yanne, l’anarcho-misanthrop­e et bouffeur de curés est mort, en 2003, à 69 ans, dans la peau tavelée d’un grand bourgeois parisien, veuf, catholique, despotique et dédié aux oeuvres caritative­s. Oscar, le patriarche des « Thibault », fut donc l’ultime rôle et le dernier soupir du réalisateu­r gouailleur de « Moi y’en a vouloir des sous ». C’est Jean-Daniel Verhaeghe qui avait su tirer, de la saga familiale et romanesque de Roger Martin du Gard, quatre épisodes de quatre-vingt-dix minutes pour France 2. Seul un fou de littératur­e, comme l’est Verhaeghe, pouvait réussir un tel pari. On ne compte plus, en effet, sur les soixante-dix téléfilms qu’il a réalisés, les oeuvres qu’il a adaptées, de « Bouvard et Pécuchet » à « la Métamorpho­se », d’« Eugénie Grandet » au « Père Goriot », du « Désert de l’amour » à « Raboliot ». Mais sa grande passion, c’est « les Thibault ». Il avait 16 ans lorsqu’il reçut, à l’occasion d’une distributi­on de prix, une version abrégée et illustrée de ce « roman colossal ». Depuis, la fresque de Martin du Gard ne l’a jamais quitté. Il a grandi avec les deux frères, Jacques et Antoine Thibault (campés, dans son film, par Malik Zidi et Jean-Pierre Lorit). Il a désiré Rachel et pleuré avec Gise. Et voici que, à 73 ans, Jean-Daniel Verhaeghe entre avec une barbe blanche et des bésicles dans l’hiver d’Oscar. En guise de gratitude, il troque la caméra pour le stylo et offre à l’auteur des « Thibault » un émouvant et joli cadeau : « le Passé définitif » (Serge Safran, 15,90 euros). Dans ce roman bref, mais chargé d’une longue mélancolie, un éditeur part en TGV pour la Touraine de Balzac, où il va rejoindre sa compagne violoniste. C’est alors qu’il voit passer, sur le quai, le fantôme roux de son premier amour : Jeanne l’avait autrefois rééduqué à l’hôpital de Berck, où il avait été admis, estropié et fracturé, après un accident de mobylette. Il avait 18 ans, elle huit de plus, et un mari. Ce fut une rencontre furtive, passionnel­le et sans lendemain. Ils s’étaient reconnus et perdus de vue. Entre eux, comme pour ajouter à leur fusion, il y avait eu « les Thibault », qui deviendrai­t leur talisman, leur livre de chevet, au sens propre. Je ne vous dirai pas si, finalement, les deux amants se retrouvero­nt, mais je vous conseille de lire, d’un réalisateu­r émotif et délicat, en somme étranger à notre époque, cette histoire simple où le passé vient toquer à la porte du présent et Martin du Gard, au portillon de la gare Montparnas­se.

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