DROIT DE RÉPONSE DE JULIA KRISTEVA
« “L’Obs” a fait le choix de publier un long article intitulé “Julia Kristeva, ex-agent du KGB bulgare”, qui est consacré à me prêter le rôle romanesque d’agent de renseignement des services secrets bulgares entre 1970 et 1973. A l’appui d’une telle mise en cause, la divulgation d’un rapport provenant d’“archives” de la police bulgare, qui mentionneraient ma participation à des activités de renseignements sous le pseudonyme fantaisiste de “Sabina”.J’ai déjà démenti publiquement le contenu de ces rapports et de ces informations imaginaires. L’article que vous publiez me contraint à le faire à nouveau: je maintiens n’avoir jamais d’une quelconque façon participé à de telles activités dont la révélation soudaine et tardive est préjudiciable à la compréhension et à la diffusion de mes recherches dans les champs de la psychanalyse, de la linguistique, de la philosophie et du questionnement politique du totalitarisme, notamment dans mon analyse de l’oeuvre de Hannah Arendt. De telles assertions portent atteinte au crédit de mes travaux et sur le plan personnel, je le redis, elles réveillent de vieilles blessures. J’ai quitté la Bulgarie grâce à une bourse du gouvernement français dans des conditions difficiles, en y laissant ma famille, et avec la conscience que les prises de position que j’adopterais de l’autre côté du rideau de fer exposeraient ma famille et notamment mon père aux aléas d’un régime totalitaire. Cette histoire est ancienne, mais il m’est aujourd’hui très pénible de constater que les pratiques douteuses des polices secrètes au service de ces régimes demeurent redoutablement actives et toxiques. Des chercheurs et des journalistes, dans les anciens pays communistes eux-mêmes, protestent aujourd’hui vigoureusement contre ces falsifications et leur utilisation par des commissions tendancieuses. Il suffit de lire les 29 lettres personnelles envoyées par moi-même à mes parents et interceptés par la police totalitaire ainsi que la reprise intégrale (20 pages traduites en bulgare !) de mon entretien avec Jean-Paul Enthoven sur les “dissidents” dans le numéro du “Nouvel Observateur” n°658, 20 juin 1974, qui fait de moi une personne sous surveillance plutôt qu’une “agente” – pour constater que cette manipulation est sans aucune valeur probatoire. Plus encore, le crédit que l’article qui m’est consacré accorde à des informations archivées dans un bâtiment stalinien participe – et je m’en effraie – à la perpétuation sans complexe de ces méthodes totalitaires. Ces “archives” sont des fossiles idéologiques désavoués et combattus par les démocraties : pourquoi y accorder aujourd’hui une telle foi aveugle ? Comment ne pas prendre le recul qu’imposent encore une fois de telles méthodes, et en tirer les enseignements pour le présent et le futur ? Il faut comme toujours se poser la question : à qui cela profite-t-il ? » [« l’Obs » maintient l’ensemble de ses informations.]