“CACHEZ CET ANTISÉMITISME MUSULMAN QUE JE NE SAURAIS VOIR”
Lorsque j’ai entendu le mot yhoudi ( juif ) pour la première fois, il y a plus de trente ans au Maroc, il sonnait comme une insulte. C’était dans un large rassemblement familial, le genre de réunion où les adultes profitant des retrouvailles s’irritent de leur marmaille qui court dans tous les sens. Quelqu’un venait de traiter son enfant de yhoudi ould lyhoud (« juif fils de juifs ») pour lui dire qu’il était un vilain garnement. J’allais avoir l’occasion d’entendre cette insulte sous différentes formes au cours de ma vie au Maroc, un pays dont j’ai pourtant appris par la suite qu’il était le moins antisémite du monde arabe.
Un peu plus tard, à l’école primaire AlAmani à Casablanca, où j’apprenais des rudiments d’arabe et de français, entre beaucoup de cours religieux, il se murmura dans la cour que la maison mitoyenne était habitée par des juifs. Nous nous crûmes alors autorisés, nous autres petits écoliers d’un établissement privé plutôt bourgeois, à balancer des insultes et des détritus depuis les fenêtres de nos classes. La propriétaire s’en plaignit au directeur, diplômé de l’université théologique d’AlAzhar au Caire et docteur en littérature arabe, qui, furieux, nous administra une punition exemplaire. Pour la première fois, les antisémites en herbe que nous étions venaient d’apprendre que haïr les juifs était quelque chose de mal.
Ironie du sort, c’était M. Fahmi Shanti, un brillant intellectuel palestinien réfugié au Maroc, où il avait fondé notre école, qui nous l’apprit.
Cette leçon, je n’allais jamais l’oublier. J’en retins que l’antisémitisme – n’en déplaise aux détracteurs de Georges Bensoussan – est bel et bien un atavisme que l’on a de fortes chances de téter au sein de sa mère pour peu que l’on reçoive une éducation islamique standard. Un atavisme, certes, mais pas une fatalité. J’en retins également que la cause palestinienne ne peut être prétexte à l’antisémitisme, même pour les premiers concernés, comme M. Shanti. J’en retins surtout que, tout théologien d’Al-Azhar qu’il était, le directeur de l’école tenait avant tout à avoir des relations de bon voisinage. Si lui parvenait à vivre avec ses voisins juifs, pourquoi n’y parviendrions-nous pas en France ?
“ANTISÉMITISME MUSULMAN”: L'EXPRESSION EST LANCÉE
Dans un manifeste « contre le nouvel antisémitisme » publié dimanche 22 avril dans « le Parisien », plus de 250 personnalités tirent la sonnette d’alarme quant à l’inquiétante recrudescence des crimes antisémites commis en France par des islamistes. Pour ceux qui les perpètrent, ces actes ont un nom : le djihad. Afin de faire cesser ces ordalies au rabais qui envoient tout droit leurs auteurs auprès des houris de l’Eden et qui contraignent les juifs de France à migrer plus prosaïquement vers des cieux ou des quartiers plus sûrs, les signataires du manifeste exhortent les autorités théologiques islamiques de France à frapper du sceau de l’obsolescence les versets du Coran appelant au meurtre des juifs, des chrétiens et des incroyants.
D’aucuns ont d’abord réagi au texte en pointant sa partialité, car le fait même d’évoquer un antisémitisme islamique serait « stigmatisant » pour toute une « communauté ». Les auteurs du manifeste se sont ainsi vu sommés de mentionner tous les antisémitismes, dont celui de la fachosphère française et celui qui sévit en Europe de l’Est, sous peine de se voir accusés d’« islamophobie ». Cette même dialectique de l’intimidation enjoint à toute personne qui s’exprime sur l’intégrisme islamique de valider d’abord qu’« il y a des intégristes dans toutes les religions ». L’argument, en apparence équilibré, n’est qu’une technique de réfutation qui permet de diluer le propos sans jamais en discuter le fond.
Toutefois, ce sont les principaux intéressés euxmêmes qui mettent fin à ce début de polémique stérile pour amorcer le seul véritable débat qui compte : la part de responsabilité des textes islamiques dans ces crimes antisémites et l’opportunité de procéder à un toilettage du texte coranique pour l’expurger de ses versets violents. La tribune « Des imams au service de la République française », publiée dans « le Monde » du 25 avril, est rédigée par Tareq Oubrou, le recteur de la grande mosquée de Bordeaux, et signée par 30 imams. Elle dénonce le « terrorisme » et les « crimes antisémites » qui conduisent pour eux à une situation « intenable ». Si la démarche a le mérite d’entériner à demi-mot l’existence d’un antisémitisme musulman, les imams républicains ne vont pourtant pas jusqu’à accéder à la requête qui leur est faite de revoir leur copie du Coran.
L’“IMAM MODÉRÉ”, UN MYTHE MÉDIATIQUE
L’expression « imam modéré » est à la mode. Ou comment un oxymore se ferait presque passer pour un pléonasme. Lors de la polémique sur le burkini qui a empoisonné l'été 2016, les imams français dits « modérés » ont magistralement raté l’occasion de prouver qu’ils l’étaient vraiment. Quasiment tous ont défendu la « liberté » de ces anti-Marianne des plages à s’afficher en tenue wahhabite, déplorant pour la plupart cette « islamophobie » si française, à une heure où la France n’avait pas encore fini d’enterrer les victimes des attentats de Nice. Si un seul de ces imams avait levé le petit doigt pour dire que l’on peut parfaitement être musulmane et porter le maillot de bain, il aurait authentiquement mérité son étiquette de « modéré ». Aucun ne l’a fait.
Le ballet des « condamnations » par ces imams fait maintenant partie du décorum post-attentats. Pourtant, il y aurait lieu de se questionner sur l’opportunité de plébisciter des théologiens qui se contentent de condamner des crimes au lieu de condamner les textes qu’ils prêchent et qui justifient ces mêmes crimes.
Dans le cas précis des attentats visant des citoyens juifs, il aura fallu des années depuis le forfait de Merah pour que les imams lâchent le mot « antisémitisme ». Mieux vaut tard que jamais. Toutefois, la noblesse de l’intention affichée masque à peine l’affront ressenti par les imams face à ces 250 illustres profanes qui les somment d’amender leur livre saint. Demander à un musulman croyant, imam de surcroît, de changer l’emplacement d’une virgule dans le Coran, c’est comme demander au Louvre de repeindre la gorge de la Joconde en noir parce que les islamistes trouvent son décolleté trop affriolant.
Maladroite, certes, et même « ignare », comme l’a sous-entendu Tareq Oubrou, l’injonction faite aux responsables musulmans de se justifier sur les versets criminogènes contenus dans le Coran a tout
LA CAUSE PALESTINIENNE NE PEUT ÊTRE PRÉTEXTE À L’ANTISÉMITISME, MÊME POUR LES PREMIERS CONCERNÉS.
de même le mérite de sonner le glas d’une mystification. Non, la succession des crimes idéologiques perpétrés à coups d’« Allahou Akbar » n’est ni l’oeuvre hasardeuse de détraqués mentaux mystérieusement inspirés par le même génie profane, ni le fruit amer d’une civilisation occidentale intrinsèquement raciste et oppressive envers une « communauté musulmane » dont la jeunesse désoeuvrée exprimerait ainsi de façon ultime son extrême désespoir. Si tel était le cas, on ne compterait pas les victimes du terrorisme islamique par milliers sous les cieux où règne l’islam.
« Citoyens aussi, nous voulons proposer notre expertise théologique aux différents acteurs qui sont confrontés aux phénomènes de la radicalisation […] afin de répondre à des aberrations religieuses par un éclairage théologique lorsque les arguments avancés par ces jeunes sont d'ordre religieux. Une expertise que seuls les imams peuvent apporter », écrivent Tariq Oubrou et ses cosignataires. Autrement dit, à chaque fois que le texte coranique leur sera opposé, ils renverront leurs interlocuteurs à leur ignorance supposée du contexte, de la langue arabe ou des subtilités exégétiques pour s’affirmer comme seuls capables de comprendre l’islam.
En réalité, s’adjuger le monopole de la compréhension du Coran revient à mettre à l’index le cor pus textuel islamique pour n’en distiller au public que ce qui en lustre l’image et paraît convenable pour les oreilles de la République. Les imams s’instaurent ainsi en clergé ad hoc, mais ils refuseront de se reconnaître comme tels à chaque fois qu’ils seront sommés de réformer leur dogme. En effet, comment toucher aux textes saints lorsque chacun sait qu’en islam, il n’y a pas de clergé ?
L’ANTISÉMITISME, UNE SCIENCE ISLAMIQUE?
Si les imams reconnaissent à demimot l’existence d’un antisémitisme musulman, ils le décrivent comme une regrettable conséquence de l’ignorance. Ces « ignares » qui n’ont pas pu profiter des lumières des imams « modérés » de France se seraient ainsi formés à l’antisémitisme auprès de sombres réseaux anonymes sur internet. Encore une mystification. Si n’importe quelle personne sachant lire l’arabe comme moi peut accéder à une riche bibliographie antisémite en effectuant une simple recherche en ligne ou dans n’importe quelle bibliothèque du monde musulman, nos imams éclairés de France ne peuvent ignorer l’existence de tels « travaux ». Les écrits antisémites ne sont pas toujours l’oeuvre des prédicateurs autoproclamés des soussols. Certains comptent à leur actif plusieurs conférences en Europe.
EXPURGER LE CORAN N’EST PAS UNE HÉRÉSIE MAIS UN CONTRESENS
Fautil pour autant amputer le Coran de tout ce qui ne correspond pas aux valeurs de la République? Sans craindre d’offenser les musulmans, je suis en droit de me demander s’il en resterait grandchose. Faire de l’archéologie coranique est nécessaire, mais vouloir expurger le texte de ses versets barbares pour le rendre plus adapté à notre époque revient à en reconnaître le caractère législatif. Or, c’est bien parce que le Coran est perçu comme une constitution par une large partie de musulmans qu’il pose problème. Pas moins de huit versets coraniques affirment que la terre est plate. La science atelle attendu pour autant que M. Oubrou et ses comparses les frappent d’obsolescence pour établir l’évidence?
Nul besoin d’expurger le Coran que la tradition nous a transmis s’il est tenu pour ce qu’il devrait être: un livre ancien renfermant à la fois la sagesse et la barbarie des temps où il fut rédigé. L’édifice intellectuel islamique continuera inexorablement à se fissurer, jusqu’à effondrement total, tant que les questions fondamentales autour du Coran, de ses auteurs, de sa chronologie, de sa fabrication en tant que livre saint seront soigneusement éludées par les imams.
Ce qui se joue à travers cette bataille des pétitions, c’est que l’omerta qui a entouré le dogme islamique pendant des siècles, usant de coercition et de violence contre tous les esprits éclairés qui ont osé induire le doute, est en train de céder à l’esprit critique et anticlérical français. Ce qui a été protégé à coup de lois antiblasphématoires ailleurs ne saura résister longtemps à la liberté du débat en France. Les crimes antisémites ou l'attentat de « Charlie Hebdo » doivent être compris pour ce qu’ils sont: une ultime tentative de semer la terreur afin de masquer la faillite intellectuelle du dogme islamique tel que défendu par ses imams aujourd’hui.