Sid’amour à mort
PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE, PAR CHRISTOPHE HONORÉ. DRAME FRANÇAIS, AVEC PIERRE DELADONCHAMPS, VINCENT LACOSTE, DENIS PODALYDÈS, ADÈLE WISMES (2H12).
Il semble que le moment soit venu pour nos cinéastes de raconter la tragique épopée de l’homosexualité en France au plus fort des années sida. Après Robin Campillo et « 120 Battements par minute », c’est Christophe Honoré, de huit ans son cadet, touché différemment par l’épidémie, qui s’y colle en adoptant un point de vue non pas militant mais intime. 1993, Arthur (Vincent Lacoste, photo, à droite), un étudiant rennais, préfère à la fréquentation des cours celle des livres et des salles de cinoche, et aux nuits avec sa copine Nadine (Adèle Wismes, des faux airs de Pascale Ogier), les garçons d’un soir. Il rencontre Jacques (Pierre Deladonchamps, photo, à gauche), un écrivain parisien qui a le double de son âge, un fils en garde partagée et cette saloperie de virus. Arthur a la vie devant lui, Jacques, la mort aux trousses. Leur histoire d’amour empêchée, marquée par la distance et la fuite, ressemble au cinéma heurté d’Honoré, animé par des mouvements contraires, trop mélancolique et littéraire pour embrasser franchement l’élan vital et romanesque qui affleure. Autrement dit, Honoré trouve le sujet qu’attendait sa sensibilité de cinéaste-écrivain. Film sur la transmission, hommage à ses pères spirituels, « Plaire, aimer et courir vite » s’inscrit dans la veine « grand public » du réalisateur des « Chansons d’amour », cite explicitement Fassbinder, Carax et Truffaut avec ses accents mélo, ses travellings urbains et ses dominantes bleu métal. Mais c’est à Sautet qu’on pense étrangement. Un Sautet moderne. La présence de Pierre Deladonchamps, de Vincent Lacoste – qui succèdent à Louis Garrel en alter ego fictionnels d’Honoré –, et de Denis Podalydès, tous trois étonnants, y est pour beaucoup. Elle insuffle une énergie nouvelle, une autre respiration, plus directe, incarnée, à la manière post-Nouvelle Vague du réalisateur. Le film mêle l’humour et le tragique, oscille entre la légèreté responsable d’Arthur et l’inquiétude coupable de Jacques (celles de leurs générations respectives face à la maladie), entre l’enthousiasme provincial de l’un et le snobisme parisien de l’autre (les deux partagent des points communs avec leur auteur). Parce qu’elle est du côté de la vie, cette love story, hantée par l’absence, n’a d’autre choix que de raconter deux solitudes. L’impudeur du film naît d’ailleurs moins des étreintes qu’il met en scène que de la frontalité des joutes verbales. Quand les corps nus se rapprochent, c’est, à une exception près, pour appeler au réconfort, à une tendresse qui ramène à l’enfance. Au temps où l’on jouait à conjurer la mort.