ROMAN NOIR PARRAIN CORSE LE D’UN
A 52 ans, Jacques Mariani, héritier du criminel de la Brise de Mer, a déjà passé plus de trente ans derrière les barreaux. Le voilà de nouveau emprisonné pour racket. Et un repenti l’accuse maintenant d’assassinat… Enquête
Je vous attendais. » Jacques Mariani aime bien fanfaronner. Quand les policiers, le 18 décembre dernier, viennent l’interpeller pour racket dans son petit studio meublé de La Baule, où l’ancien taulard, sous bracelet électronique, s’est reconverti en veilleur de nuit, il ne peut s’empêcher de leur faire savoir qu’il a été prévenu de leur arrivée. Il leur a même préparé le café et les croissants. Enfin, c’est ce qu’il dit. Comment a-t-il été averti de son arrestation ? D’où venaient les fuites ? « Tout se sait », répond, laconique cette fois, Mariani, qui a accepté de répondre à certaines de nos questions depuis la prison des Baumettes. Considéré par les enquêteurs spécialisés comme l’une des figures les plus dangereuses du grand banditisme corse, déjà condamné pour avoir participé à un assassinat (celui d’un jeune nationaliste), et soupçonné dans plusieurs dossiers de règlement de comptes, il est aussi le fils de feu Francis Mariani, l’ancien chef du gang ultra-violent de la Brise de Mer, dont les anciens membres se sont entre-tués à la fin des années 2000 après avoir régné sur l’île. S’il est condamné, il aura bien du mal à sortir de prison, et il le sait. Alors, s’il était au courant, pourquoi ne pas avoir fui ? « J’avais donné ma parole au magistrat qui m’a remis en liberté l’année dernière, explique ce quinquagénaire au visage étroit, dont les lunettes fines et les cheveux courts évoquent davantage un banquier qu’un bandit de grand chemin. Je lui avais dit : “Vous avez ma parole de voyou, si on peut considérer qu’être un voyou c’est avant tout être un homme.” » Il a donc attendu son interpellation avec tranquillité et quelques croissants. Ces viennoiseries ne sont pas mentionnées dans le compte rendu de perquisition des enquêteurs ce jour-là. Ils ont noté en revanche la présence d’un gilet pare-balles dans le panier à linge, et celle, sur le balconnet de cette résidence hôtelière sans âme, d’une caméra de vidéosurveillance orientée vers l’entrée du parking. Ils ont trouvé des billets de banque. Pas d’armes. Sur la table basse, devant l’écran plat, traînait un détecteur de micro, censé prévenir Mariani d’éventuelles écoutes…
Le gadget n’a pas bien fonctionné. Depuis sa dernière sortie de prison, en février 2017, l’héritier de la Brise de Mer a vécu, parlé, dormi sous les yeux des policiers. Il s’en doutait, aurait même été prévenu – « Tout se sait », répète-t-il –, mais n’avait pas imaginé l’ampleur du dispositif. Sa voiture a été sonorisée. Les véhicules de ses amis également. Son téléphone a été placé sur écoute, tout comme les nombreux « tocs » (des « téléphones occultes », achetés sous de fausses identités) qu’il s’est procurés au fil des semaines. Ses rendez-vous ont été photographiés. Et les identités de ses éventuels complices, scrupuleusement vérifiées. L’histoire est donc dingue. Surveillé nuit et jour, en liberté conditionnelle dans un petit hôtel de La Baule, Mariani aurait rançonné des commerçants en Corse… où il n’a pas remis les pieds depuis dix-sept ans! Il a même assisté aux obsèques de son père par téléphone. A l’évocation de son simple nom, il se serait fait payer par des gérants de boîte de nuit, des restaurateurs ou des commerçants. Fin décembre, il est mis en examen pour « association de malfaiteurs, extorsion et blanchiment » et placé en détention à la prison des Baumettes.
L’histoire se répète. Depuis ses 20 ans, chaque fois que Jacques Mariani retrouve la liberté, voilà qu’une nouvelle affaire le renvoie derrière les barreaux quelques mois plus tard. Au cours de sa peine précédente, il avait même réussi l’exploit d’être condamné à quatre ans ferme pour un système de racket de boîtes de nuit d’Aix-en-Provence organisé depuis sa cellule. Mais un autre dossier judiciaire, bien plus menaçant, plane aujourd’hui sur son avenir. L’homme devrait être entendu, dans les prochaines semaines, pour le double assassinat de JeanLuc Codaccioni et d’Antoine Quilichini, le 5 décembre dernier, à l’aéroport de Bastia. Les deux hommes appartenaient au clan honni, le clan Germani, soupçonné d’avoir voulu tuer le père (voir encadré p. 58).
Pour le moment, Jacques Mariani est surtout empêtré dans l’affaire d’extorsion, dont certains détails, certains dialogues semblent presque avoir été inventés. Jacques Mariani a une soeur jumelle, Pascale. Jamais condamnée auparavant, celle-ci fait son apparition dès les premières pages du dossier d’instruction : un chef d’entreprise de Porto-Vecchio jure lui avoir remis 500000 euros sous la menace. Une sorte d’impôt révolutionnaire, réglé pour continuer à travailler tranquillement. Sur l’île, c’est le patronyme qui fait peur, peu importe le prénom. La seconde victime est un commerçant prospère. Il n’est pas corse ni corsophile. Quand il reçoit des appels d’un certain Jacques Mariani proposant d’assurer sa sécurité en échange d’argent, il refuse poliment : le nom ne lui dit rien. La « brise de mer » n’évoque pour lui qu’un petit
Mariani aurait rançonné des commerçants en Corse… où il n’a pas remis les pieds depuis dix-sept ans !
vent rafraîchissant une fois l’été venu, et non ce bar du vieux port de Bastia qui a donné son nom au clan criminel. Il ne paie donc pas. « Un monsieur est venu avec une tablette type iPad et m’a montré une vidéo de Jacques Mariani qui m’expliquait plus méchamment ce qu’il voulait, raconte, par la suite, le commerçant aux policiers : il m’a dit que si je ne lui donnais pas 80000 euros, il me flinguait. » Alors il paie, 80000 euros, à quatre reprises. Et finit par dénoncer ce racket à l’occasion d’un contrôle des douanes. Pourquoi avoir accepté de payer ? « Ce type, si vous regardez sur internet, il a brûlé vif un type dans un coffre. J’ai d’autres ambitions dans la vie », confie-t-il aux enquêteurs.
A sa sortie de prison, Jacques Mariani se retrouve coincé à la Baule, où il ne se déplace jamais sans son gilet pare-balles et sans avoir vérifié scrupuleusement sous sa voiture que personne n’est venu y poser des explosifs. Il multiplie les coups de téléphone. A l’été 2017, il entre en contact avec le gérant d’une célèbre boîte de nuit corse. Ce dernier, après cet appel et une visite d’un proche de Mariani, envisage de quitter l’île et ne se déplace plus sans garde du corps. « Moi, je sais que n’importe quel homme, il peut te mettre un coup de fusil », lance Mariani à une autre de ses cibles présumées, un entrepreneur de l’île. Il poursuit : « On est dix personnes, on sait notre chemin où il va aller, certainement qu’il va mal se terminer, mais avant qu’il se termine mal, je veux que mon fils, il soit bien. » L’entrepreneur se risque à lui répondre : « Comme les miens, moi aussi j’en ai deux [fils]. » La réponse est d’une logique irréfutable : « Oui, mais le problème des tiens, le problème des tiens, c’est que les tiens, c’est pas les miens. » Fin de la conversation.
Chaque fois, à en croire les témoignages (rares) et les écoutes (bien plus nombreuses), les méthodes sont les mêmes. Coincé à La Baule, l’homme se sert de ses proches pour se faire remettre des espèces en échange d’une obscure « protection ». Son propre fils, prénommé Francis, comme le grand-père, contacte également certains commerçants. « Ils le mettent déjà sur le terrain », constate, dubitatif, l’un d’entre eux. Francis Mariani fils a fêté ses 17 ans le 19 décembre dernier, jour de sa première garde à vue dans ce dossier d’extorsion de fonds. Ce qui a rendu son père fou de rage. Il est ressorti libre deux jours plus tard.
Jacques Mariani, lui, a refusé de parler de racket lors de sa garde à vue. « Je ne fais pas d’extorsion. Comment récupérer de l’argent qu’on devait à mon père, sachant que je n’ai menacé personne et que ces personnes savent et reconnaissent que cette dette existe ? » Il a depuis déposé plainte contre X pour dénonciation calomnieuse, nous ont indiqué ses trois avocats, Mes Yassine Maharsi, Eric Dupond-Moretti et Jean-Sébastien de Casalta. Les enquêteurs ont pourtant retrouvé de l’argent. Et des dépenses sans commune mesure avec son salaire de veilleur de nuit, s’élevant à 1 100 euros par mois. « L’argent me vient de mon père, point », nous a répondu Jacques Mariani.
“Ce type, il a brûlé vif un type dans un coffre. J’ai d’autres ambitions dans la vie” UN CHEF D’ENTREPRISE VICTIME DE RACKET
Aux Baumettes, le détenu Mariani est aujourd’hui surveillé. Encore plus depuis qu’il a emprunté le téléphone portable de son voisin pour contacter sa soeur jumelle, brièvement libérée avant d’être remise en prison pour violation de son contrôle judiciaire. Mi-mars, une montre qui pouvait se connecter à internet a été découverte dans sa cellule et lui a été confisquée. Sans montre, sans téléphone, placé à l’isolement, Jacques Mariani tourne en rond. Il fait du sport, notamment du yoga. Lit des ouvrages de philosophie. Appelle ses avocats. Et écrit, très souvent, de longues lettres manuscrites au juge d’instruction de la Jirs (juridiction interrégionale spécialisée) de Marseille, chargé de son dossier. Les mauvais jours, il menace le magistrat de ne plus répondre à ses convocations dans ce dossier aux allures de « mascarade », digne du « cirque Bouglione ». Il insulte ceux qui a rment avoir été rackettés, les traitant (au mieux) de « lâches », de « collabos », de « crapules » ou d’« escrocs », et termine certaines de ses missives par « bonne chance ». « Il fallait à tout prix que Mariani Jacques soit le bou on de service », lui arrive-t-il de proclamer, énervé, et parlant de lui-même à la troisième personne. Il se désigne aussi parfois comme « le voyou ». Dans ses bons jours, il promet de répondre si des confrontations sont organisées. Au fil de ses lettres, Mariani évoque également l’autre dossier judiciaire, celui du double assassinat de Bastia. Il sait qu’il va être entendu, ce n’est plus qu’une question de jours ou de semaines. « Je n’ai rien à voir, ni de près ni de loin, j’étais tranquillement à La Baule, où j’attendais même la BRI. C’est vous dire que je n’ai rien à cacher », écrit-il. Ou encore : « Moi, Codaccioni, Quilichini, Tomi, Germani, je m’en tape qu’ils meurent ou qu’ils vivent. Dans la vie, on ne récolte que ce que l’on sème. »
C’est ici, autour de ces quatre patronymes cités par Mariani dans sa lettre, que débute la nouvelle histoire judiciaire qui risque de le tourmenter pendant des années (voir encadré p. 58). Une histoire qui pourrait, s’il n’e st pas mis hors de cause, le condamner à passer le reste de sa vie en prison. Pourquoi est-il soupçonné d’avoir fomenté le double meurtre de Bastia ? Toute son histoire familiale le désigne, et, en Corse, les arbres généalogiques sont souvent plus bavards que les dossiers judiciaires. Quand la Brise de Mer était encore puissante, ses chefs, Francis Mariani (le père), JeanLuc Germani et Richard Casanova s’entendaient à merveille. Puis Mariani a soupçonné les deux autres de vouloir le doubler. Casanova a été tué en 2008. Francis Mariani a connu le même sort un an plus tard. Au-dessus du tas de cendres de la Brise de Mer, aujourd’hui disparue faute de « combattants », ne restent plus que des haines et des espoirs de vengeance. D’un côté, le clan Mariani; de l’autre, le clan Germani, que l’on dit protégé par Michel Tomi, homme d’a aires ayant fait fortune dans les casinos en Afrique et surnommé le « parrain des parrains » (ce qu’il nie, évidemment). Germani est en prison, mais il lui reste des proches, des lieutenants. Les deux morts de Bastia en faisaient partie.
Jacques Mariani est donc suspecté d’avoir fait éliminer ces deux hommes du clan ennemi. Les confidences d’un de ses anciens amis, un homme d’a aires totalement extérieur au milieu Corse rencontré à La Baule, sont venues renforcer les soupçons des policiers. Comme « le Monde » l’a révélé, cet homme – dont nous tairons l’identité, et que l’on appellera pour des commodités du récit « Alain » – a été interpellé, lui aussi, mi-décembre, dans le dossier d’extorsion. A la surprise des enquêteurs, il s’est immédiatement mis à parler. Pas de racket, non, mais de la préparation d’un meurtre. Il aurait intégré le programme des repentis de justice, un statut qui permet à une personne qui risque sa vie pour avoir livré des informations de bénéficier d’une protection et de pouvoir changer d’identité.
“Il fallait à tout prix que Mariani Jacques soit le bouffon de service.” JACQUES MARIANI
Qui est Alain? Les policiers, qui le surveillaient en même temps que Mariani, car les deux hommes se déplaçaient souvent ensemble, se sont longtemps interrogés. A première vue, Alain, surnommé « le trader » par ses nouveaux amis corses, et Jacques « le voyou » n’avaient pas grand-chose à faire ensemble. Début 2017, Alain fréquente l’hôtel Adonis, où Jacques, en liberté surveillée, est veilleur de nuit. C’est là que leurs routes se seraient croisées pour la première fois. Alain a été un temps fonctionnaire au ministère de l’Intérieur. Il se présente à Mariani comme un baroudeur, proche des services de renseignements français. Il se vante par exemple de connaître très bien Bernard Squarcini, l’ancien patron du renseignement intérieur. Et même Nicolas Sarkozy. Il ne parle pas de ses ambitions politiques avortées, des élections qu’il n’a jamais remportées. A son sujet, non sans malice, les policiers noteront dans un de leur compte rendu : « Il s’est fait remarquer dans la vie politique, mais pas par ses succès. » Il ne parle pas non plus de ses déboires avec la justice dans une affaire de moeurs. Jacques Mariani l’emmène dans tous ses rendez-vous. Et devient vite son créancier : Alain avait besoin de 75000 euros pour investir dans un projet. Il les perd, mais les deux hommes restent amis.
Alain raconte aux policiers éberlués qu’il aurait ainsi suivi le projet imaginé par Jacques Mariani pour se venger du clan Germani. Le circuit qu’il décrit est des plus tortueux. Pour mettre son projet à exécution, Jacques Mariani se serait mis en contact avec une autre famille appartenant au Who’s Who du grand banditisme français : les Faïd. Il aurait d’abord contacté Rachid Faïd, le frère du célèbre braqueur Rédoine Faïd (qui vient d’être condamné en appel à vingt-cinq ans de prison pour un braquage avorté ayant coûté la vie à une policière), pour embaucher un tueur dans la région marseillaise. Alain, lui, se serait chargé de cette mise en relation entre Rachid Faïd et Jacques Mariani. Plusieurs zones d’ombre demeurent. On ne sait pas, par exemple, comment l’homme d’affaires connaît le frère du braqueur. Difficile de comprendre, également, l’intérêt qu’aurait pu avoir Rédoine Faïd, l’enfant de l’Oise, braqueur chevronné surnommé « le Cerveau », à s’allier avec la Brise de Mer dans une histoire de règlement de comptes insulo-insulaire. Lors des nombreuses surveillances effectuées entre février et décembre 2017, les policiers ont pourtant noté que « Mariani se sert de lui [d’Alain, NDLR] pour entrer en contact avec Rachid Faïd. » Un lien a donc bel et bien été établi entre le Corse et le frère du braqueur. Contacté, l’avocat de Rédoine Faïd, Me Joseph Cohen-Sabban, n’a pas souhaité commenter ces déclarations, dont il ne connaît pas la teneur.
La suite de l’histoire reste à écrire. Jacques Mariani, lui, aimerait déjà y mettre fin. Sollicité par notre journal, il reconnaît avoir rencontré une fois Rachid Faïd, à Nantes, pour parler « immobilier », mais n’avoir jamais croisé la route de Rédoine. Il nie toute implication dans les assassinats de l’aéroport de Bastia. « Jamais, jamais, jamais. Tout ce qu’[Alain] raconte, c’est n’importe quoi. Il m’instrumentalise pour échapper à ses ennuis judiciaires. » Quelques jours avant son interpellation, Jacques Mariani aurait appelé directement un policier de l’OCLCO – l’office central de lutte contre le crime organisé – pour lui dire, de vive voix, qu’il n’avait rien à voir avec le double homicide. Il n’a manifestement pas été cru sur parole.