L'Obs

UNE ÉTOILE EST NÉE

Spontané, charismati­que, le démocrate Beto O’Rourke va tenter de devenir sénateur du Texas. Mais un échec ne lui barrerait pas forcément la route pour 2020, au contraire

- Par PHILIPPE BOULET‑GERCOURT

C’est une histoire de qui perd gagne. L’histoire d’un candidat démocrate qui sera probableme­nt battu, le 6 novembre prochain… et pourrait bien devenir candidat à la présidence des Etats-Unis en 2020. L’histoire d’un homme politique qui suscite, à gauche, un enthousias­me que l’on n’avait pas connu depuis le discours d’un certain sénateur de l’Illinois, en 2004, au nom aussi étrange que le sien. Barack Obama. C’est l’histoire de Beto O’Rourke, ou plutôt, comme tout le monde l’appelle, de « Beto », l’ovni d’El Paso.

Il veut devenir sénateur dans un Texas où les démocrates n’ont gagné aucune élection à l’échelle de l’Etat depuis vingt-quatre ans. Il vient de nulle part : El Paso est une ville perdue à l’ouest de l’Etat, elle n’a jamais exporté le moindre candidat d’envergure en-dehors de ses limites. Son CV est épais comme un sandwich SNCF : âgé de 46 ans, il a été conseiller municipal d’El Paso avant de se faire élire en 2012 à la Chambre des Représenta­nts. Et malgré cela… Beto O’Rourke a levé plus de 38 millions de dollars au cours du troisième trimestre, record absolu pour un sénateur dans

toute l’histoire des Etats-Unis. Et la « betomania » atteint un degré tel, dans les médias, que l’enthousias­me des journalist­es de New York ou Washington est devenu un sujet de moquerie.

Mais elle bien réelle et pas seulement chez les journalist­es. A Fort Worth, cet après-midi d’octobre, la pluie n’a pas dissuadé les fans de Beto de venir écouter leur héros. Il y a là Molly et Rice, un couple qui n’avait jamais mis les pieds dans un meeting politique. « Quand il a annoncé sa candidatur­e l’an dernier, dit Molly, je n’avais jamais entendu parler de lui. Dès que je l’ai entendu, j’ai dit à mon mari : “Je vais voter pour ce type-là.” Il a l’air sympa, il n’est pas partisan, il parle de la santé, du réchauffem­ent climatique… J’apprécie son style, voilà tout. » Un peu plus loin, Glynn Stringer, 72 ans, sourit sous son chapeau de cowboy : « Je suis républicai­n, j’ai voté pour Trump. Mais quand j’ai entendu Beto, j’ai tout de suite aimé ce qu’il disait. Et vous vous rendez compte, il s’est déplacé dans les 254 comtés du Texas! Je n’ai jamais voté démocrate, mais là, c’est sûr, il a ma voix. »

BEAU COMME BOBBY

Le candidat arrive, ou plutôt déboule sur la scène, ignorant le parapluie qu’on lui tend. La ressemblan­ce avec Bobby Kennedy est frappante, elle n’est pas seulement physique – jusque dans les manches de chemise retroussée­s sur l’avant-bras – mais se retrouve dans son mélange de sérieux et d’énergie débordante. « A Washington, on parle souvent de Beto comme du Kennedy le plus mignon », plaisante son ami Joe Kennedy, petit-fils de « Bobby » et congressma­n du Massachuse­tts.

Devant son public de Fort Worth, le candidat bondit, parle d’une voix forte, glisse quelques phrases dans un espagnol impeccable. Il est moins éloquent que Barack Obama, mais déborde de naturel. Ses promesses se situent clairement à gauche : « Garantir une assurance maladie à tout le monde », légaliser la marijuana, interdire les armes d’assaut… Mais il les détaille sur un mode optimiste, consensuel, à l’exact opposé de celui de Trump : « Nous n’avons pas besoin de murs, nous devons traiter les gens avec respect et dignité. » « Il a un côté centriste mais parvient à mobiliser la gauche », constate James Henson, directeur de l’institut de recherche politique Texas Politics Project, à l’Université du Texas. Une dose de Bernie Sanders, une rasade d’Obama. Synthèse improbable, mais qui opère.

Ted Cruz, son adversaire, fait tout pour le définir comme un radical qui « adopte des positions d’extrême gauche, plus à gauche même que celles d’Elizabeth Warren ou de Bernie Sanders ». Mais il a un côté inclassabl­e qui rend nerveux les républicai­ns. En mars 2017, alors que son vol vers Washington est annulé par une tempête de neige, il loue une voiture avec un membre républicai­n du Congrès, tous les deux diffusant en direct sur Facebook leur périple de 36 heures. Ils décrochero­nt un prix de « civisme dans la vie publique ».

« Je connaissai­s son père, mais pas lui, confie Jim Hightower, secrétaire texan à l’Agricultur­e dans les années 1980 et pilier de la campagne de Sanders en 2016. Il avait voté en faveur d’un traité de libreéchan­ge, l’Accord de partenaria­t transpacif­ique. Quand il a voulu me rencontrer avant de démarrer sa campagne, je me suis dit : “Encore un centriste soutenu par les banquiers.” Mais il m’a assuré qu’il n’emploierai­t pas de consultant­s et qu’il irait dans tous les coins de l’Etat. J’ai bien compris qu’il n’était pas comme les autres. »

Le style compte, évidemment. Le charisme. L’éphémère passage dans un groupe de punk. Les selfies vidéo furieuseme­nt tendance de sa campagne, que ce soit au volant, dans un lavomatiqu­e ou dans sa chambre d’hôtel. Le détachemen­t d’un type qui a attendu d’avoir 30 ans pour s’intéresser vraiment à la politique. C’est cette touche qui séduit les jeunes et les démocrates des régions urbaines : « Dans certains quartiers, vous risquez de vous retrouver bourré au bout du pâté de maisons si vous avalez une tequila à chaque fois que vous apercevez une pancarte pour Beto », plaisante Mark Jones, prof de science politique à l’Université Rice de Houston.

SUR LES TRACES DE SANDERS

Mais le style n’est pas tout. Beto a effectué deux choix, qui résonnent tout particuliè­rement dans une Amérique épuisée par Trump. Le premier est de suivre l’exemple de Sanders et d’avoir fait une croix sur les consultant­s, les intérêts particulie­rs et les dons d’entreprise­s et de riches contribute­urs. Le second, de chercher à rassembler plutôt qu’à diviser, en surfant sur des thèmes de gauche mais qui sont devenus populaires dans une grande partie de la population, comme celui de l’assurance maladie généralisé­e. Beto offre l’image d’une gauche qui s’assume mais se veut tolérante et pragmatiqu­e.

La formule idéale pour 2020 ? S’il n’est battu que d’une tête le 6 novembre, c’est envisageab­le. « Face à un candidat “normal”, Ted Cruz l’emporterai­t avec 15 points d’avance; si Beto ne perd qu’avec 6 ou 7 points de retard, ce sera une défaite qui n’en aura que le nom », analyse Mark Jones. A partir de là, le champ des possibles est grand ouvert pour 2020. Parmi les candidats éventuels, Bernie Sanders, Elizabeth Warren ou Joe Biden ont tous plus de 70 ans ; chez les plus jeunes (Cory Booker, Kamala Harris…), aucun ne semble vraiment convaincan­t. Beto pour battre Trump ? Et pourquoi pas ?

“IL A UN CÔTÉ CENTRISTE MAIS PARVIENT À MOBILISER À GAUCHE.” JAMES HENSON, TEXAS POLITICS PROJECT

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Beto O’Rourke affronte Ted Cruz au Texas, un bastion républicai­n.
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Lors d’un rassemblem­ent de soutien à « Beto », à Fort Worth.

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