Révélation L’ardoise cachée des Tapie
L’homme d’affaires doit déjà rembourser 404 millions d’euros à l’Etat dans l’affaire du Crédit lyonnais. Et voilà que son couple se retrouve dans le collimateur du Trésor public, pour une dette fiscale de 29 millions
C’est une ardoise passée jusqu’ici inaperçue. On le sait: depuis plusieurs mois, Bernard Tapie multiplie les recours pour retarder au maximum le remboursement des 404 millions d’euros accordés lors de l’arbitrage soldant son litige avec le Crédit lyonnais. En décembre 2015, la Cour de Cassation avait annulé cette décision jugée frauduleuse. Et sommé l’homme d’affaires de rendre le pactole. Une échéance qu’il a réussi à repousser en plaçant en procédure de sauvegarde les sociétés propriétaires de ses biens. Ce qu’on sait moins, c’est que le couple Tapie livre en parallèle une autre guérilla judiciaire, tout aussi féroce. Il s’agit là de sauver leur hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine des mains du fisc, lequel leur réclame une rondelette somme liée à des arriérés d’impôts.
Beaux parleurs mais mauvais payeurs, les Tapie ? Selon nos informations, Dominique Tapie, épouse de l’ex-patron de l’OM depuis une quarantaine d’années, aurait – solidairement avec son mari – accumulé une ardoise fiscale des plus salées : 29 millions d’euros ! « L’administration fiscale, soumise au secret professionnel, ne peut s’exprimer sur un dossier particulier », répond-on à la direction générale des Finances publiques. Une partie de cette dette fiscale remonte au début des années 1990, quand Bernard Tapie est nommé ministre de la Ville. Un cas supplémentaire de phobie administrative, à n’en pas douter. Vient s’y ajouter une dette plus récente de 13,8 millions, liée à des redressements d’impôt pour les années 2009 à 2012, alors que Tapie venait de toucher le magot de l’arbitrage.
En 2008, un trio arbitral avait en effet accordé à l’homme d’affaires la somme de 404 millions d’euros, dont 45 millions au titre du préjudice moral, en règlement du litige qui l’opposait au Crédit lyonnais concernant la vente d’Adidas. De quoi renflouer les comptes de l’ancien ministre après une série de revers judiciaires l’ayant notamment conduit quelque temps derrière les barreaux après sa condamnation dans l’affaire OM-VA.
Dans les mois qui suivent la décision, au lieu de rembourser le fisc, Bernard Tapie investit une partie de cette manne tombée du ciel dans l’achat de plusieurs biens immobiliers dont la Mandala, une des plus belles villas de Saint-Tropez (500 mètres carrés sur un parc de deux hectares), pour 47 millions d’euros, d’un avion Bombardier payé 18 millions d’euros, du yacht « Reborn » acquis pour une quarantaine de millions d’euros…
En octobre 2012, sa femme fait également l’acquisition, du moins indirectement, de l’ancien hôtel particulier de Lindsay Owen-Jones, ex-PDG de L’Oréal, situé dans les beaux quartiers de Neuillysur-Seine. Un bien d’exception avec dépendances, salle de sport et suite de maître… Initialement, la promesse de vente est signée par Dominique Tapie. Au dernier moment, Dolol, une société créée fin septembre 2012, dont l’épouse de Bernard Tapie détient 99% des parts et dont le siège social est domicilié chez le couple, rue des Saints-Pères à Paris, se substitue à elle et rachète l’ensemble immobilier pour 15,2 millions d’euros.
Quelques mois plus tard, le bien sera loué à l’ex-joueur du PSG Javier Pastore, pour 23000 euros par mois. L’argent du loyer atterrit sur les comptes de la société Dolol.
De l’avis du Trésor public, l’hôtel particulier appartient pourtant à Dominique Tapie. Aux yeux de l’administration, Dolol n’est qu’une société-écran, destinée à protéger ce bien des créanciers du couple. En 2013, les services des impôts engagent donc des procédures judiciaires pour réintégrer l’hôtel particulier au patrimoine de Dominique Tapie. Des factures de consommation d’eau libellées à son nom sont versées au dossier.
Le 5 février 2018, le tribunal de grande instance de Paris tranche en faveur du Trésor public. Il ordonne la réintégration des biens et des droits immobiliers dans le patrimoine de Dominique Tapie, estimant que «la simulation destinée à masquer l’identité du véritable propriétaire du bien immobilier était caractérisée ». Une décision dont Mme Tapie a depuis interjeté appel. « Les Tapie utilisent toutes les voies de recours imaginables, même celles qu’on n’avait pas imaginées », confie une source proche du dossier.
En 2015, Dominique Tapie avait déjà adressé une demande auprès du tribunal de commerce afin que Dolol fasse l’objet d’une procédure de sauvegarde permettant de rendre les actifs de la société inaccessibles aux créanciers pour une durée de six ans. En juin 2017, le tribunal valide le plan. Au grand dam des parties adverses. « Ce tribunal a soutenu les plans de sauvegarde les plus invraisemblables. Dans ce dossier comme dans les autres, son attitude à l’égard des Tapie est des plus complaisantes», dénonce une autre source proche du dossier. En mai 2018, la cour d’appel, saisie par le parquet, rejette le plan de sauvegarde de Dolol. Une victoire pour le Trésor public, mais l’affaire Tapie reste semée de recours et de rebondissements.
En juillet, le mandataire désigné par le tribunal de commerce au titre des procédures de sauvegarde des sociétés du couple annonce dans un courrier au président du tribunal de commerce – dont « l’Obs » a eu connaissance – sa volonté soudaine de se retirer du dossier. Raison invoquée: « L’évolution de [sa] relation personnelle avec un des associés de Maurice Lantourne, conseil historique de Bernard Tapie, serait susceptible de porter atteinte au bon déroulement des procédures collectives. » De quoi pousser certains à s’interroger sur un possible conflit d’intérêts.
Contacté par « l’Obs » au sujet de l’ardoise fiscale des Tapie, Me Patrick Philip, un de leurs avocats, affirme: « Des litiges concernant le montant des impositions demandées sont pendants devant le tribunal administratif. Les époux Tapie bénéficient, de leur côté, d’une créance de 23 millions d’euros, à raison d’impositions qui ont été réglées au fisc au moment de la sortie de la liquidation de leur société et à raison des indemnités d’arbitrage qui sont, depuis, définitivement annulées. »
En mars 2019, l’homme d’affaires comparaîtra devant le tribunal correctionnel pour « escroquerie » et « détournements de fonds publics » dans le cadre de l’arbitrage. Dernier épisode d’un feuilleton interminable ? « Bernard Tapie, commente un avocat, c’est quand même la seule personne en France en liquidation judiciaire depuis les années 1990 qui continue de vivre comme un nabab. »