L'Obs

La liseuse

OLGA, PAR BERNHARD SCHLINK, TRADUIT DE L’ALLEMAND PAR BERNARD LORTHOLARY, GALLIMARD, 272 P., 19 EUROS.

- DIDIER JACOB

« Enfin elle put lire tout ce qu’elle avait toujours voulu lire : des classiques et des modernes, des romans et des poèmes, des livres sur l’histoire des femmes, celle des aveugles, des sourds-muets, sur l’Empire et sur la République de Weimar, des partitions de musique qu’elle avait jouées à l’orgue, et aussi de la musique qu’elle aurait aimé jouer. » Lire pour fuir, pour oublier. Olga Rinke cherche à s’évader de la prison des souvenirs. Elle a aimé Herbert, au temps de sa jeunesse. Née pauvre à la fin du xixe siècle, elle a connu ce fils de famille alors qu’une grand-mère acariâtre avait recueilli la jeune fille. Douée pour les études, elle a tapé dans l’oeil du jeune homme, au grand dam de sa famille qui eût préféré un meilleur parti. Envoyée en Prusse-Orientale, Olga devient institutri­ce. Elle se morfond et s’épanouit à la fois dans son métier, éprouvant à distance de l’amour pour Herbert. Lequel est gagné par la fièvre nationalis­te qui sévit en Allemagne. Il s’engage dans un bataillon qui part « civiliser » l’Afrique et puis, galvanisé par cette expérience, se lance dans une expédition polaire. Et n’en reviendra pas. Olga est prise de fureur à l’idée de cette « mort stupide », et que Herbert ait sacrifié leur amour à la patrie. Mais elle voit surtout dans cet engagement une attirance pour le néant dont on ne sait si, selon Bernhard Schlink (photo), l’auteur du « Liseur », elle caractéris­e aussi la culture allemande : « Elle estimait que c’était avec Bismarck que le funeste malheur avait commencé. Depuis qu’il avait assis l’Allemagne sur un cheval trop grand pour qu’elle pût le chevaucher, les Allemands avaient tout voulu trop grand. » Olga a maintenant plus de 50 ans, et elle a survécu à la Seconde Guerre mondiale dans un trou perdu, en Silésie. Après nous avoir raconté sa vie une première fois, le romancier allemand la relate une seconde fois. Olga se confie cette fois à un jeune garçon, chez les parents duquel elle fait des travaux de couture. Dernier acte du roman : les lettres envoyées par la jeune femme à Herbert, au temps de son expédition polaire. Ultime trace d’un amour inassouvi que Bernhard Schlink ressuscite dans ce livre émouvant, avec la nostalgie qu’on lui connaît et un raffinemen­t de tous les instants.

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