L'Obs

Mon fils, cet homo

Comment une mère peut-elle chasser son garçon de 15 ans? Gilles Leroy, prix Goncourt 2007, pose la question

- GRÉGOIRE LEMÉNAGER

LE DIABLE EMPORTE LE FILS REBELLE, PAR GILLES LEROY, MERCURE DE FRANCE, 144 P., 15 EUROS.

Au début, il y a le feu. En bottes dans la neige, « l’air d’un épouvantai­l à seulement 32 ans », une mère incendie les affaires de son fils aîné : sa casquette préférée – la bleue « avec le dinosaure brodé », ses photos, son matelas, tout. C’est à se demander s’il n’est pas mort, ce fils aîné. Il n’est pas mort. C’est presque pire : on a dit à Lorraine que son Adam se livrait à des « pratiques dépravées » avec des garçons. Elle lui a demandé si c’était vrai. Le ton est monté. L’adolescent l’a « insultée de junkie et de salope ». Elle a expulsé Adam et son skateboard de la maison, comme Dieu a éjecté nos aïeux du paradis. Misère de l’homophobie ordinaire, dans un bled paumé du Wisconsin.

A première vue, cette femme-là est une mère abominable. Quand il comprend ce qu’elle a fait, même son mari a froid dans le dos, lui qui n’a jamais froid. « Tu as chassé notre fils. Qui fait ça ? » Un fils de 15 ans, dehors, en plein hiver, avec sa planche de skate dans la neige ? A y regarder de plus près, pourtant, cette mère-là est aussi une femme sacrifiée, bousillée par ses grossesses successive­s et le décor sordide dans lequel elle a grandi, exclusivem­ent entourée d’hommes. C’est connu : il faut avoir soi-même beaucoup souffert pour se montrer si méchant. Mais le savoir est une chose, nous le faire sentir en est une autre. Pour cela, Gilles Leroy a trouvé la formule, à mi-chemin entre la narration classique et le soliloque fiévreux, avec des dialogues qui ont quelque chose d’un peu théâtral, mais qui le sont à la manière incandesce­nte du théâtre de Tennessee Williams. « Le Diable emporte le fils rebelle » est une version white trash d’« En finir avec Eddy Bellegueul­e », qui offrirait enfin un contrecham­p sur le personnage de la mère. Et la confirmati­on que l’auteur d’« Alabama Song », prix Goncourt 2007 pour avoir su faire parler Zelda Fitzgerald avec beaucoup de sensibilit­é, sait donner une voix aux fêlures féminines les plus intimes.

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