Innovation
C’est reparti pour le CES, le grand salon annuel de la tech et des objets connectés. Nouveauté de cette édition : la voiture prend de plus en plus d’importance. Une fois encore, les start-up françaises sont nombreuses au rendez-vous. Notre sélection
Dix atouts français à Las Vegas
Comme tous les mois de janvier, on parlera beaucoup français dans les allées du Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas, le plus grand rendez-vous mondial des entreprises de technologie. Après les Etats-Unis, c’est la France qui sera le plus représentée, avec 400 sociétés sur un total de 4 500 exposants venus de 150 pays. « Tout l’écosystème des objets connectés se retrouve ici », résume Maxime Sabahec, de Business France, l’organisme public d’aide à l’exportation. Pourquoi un tel engouement? Parce que les hommes politiques et les ministres, à commencer par Emmanuel Macron, en ont fait un sujet d’orgueil national en s’y rendant en masse – ce ne sera pas le cas cette année – et parce qu’il est finalement plus simple de faire des a aires à Las Vegas qu’à Paris ! Les investisseurs vont y chercher des projets à financer, les commerçants y vont pour remplir leurs rayons, les journalistes vont y débusquer des sujets. Les coûts d’exposition ne sont même pas prohibitifs – un petit stand est vendu 10000 euros, une somme partiellement prise en charge par les régions ou par des organismes comme Business France. Parmi celles qui représenteront la France, voici une sélection de notre nouveau savoir-faire.
HAVR LES SERRURES CONNECTÉES
« Las Vegas ? On y va pour les contacts internationaux et surtout pour rencontrer les distributeurs français. Quand vous exposez pour la première fois, ils vous observent et jugent votre produit. La deuxième année, si on est toujours en vie, ils commencent à travailler avec vous. Alors, pour notre retour, on espère bien réussir le lancement commercial de Havr. » Simon Laurent, 23 ans, présente pour la deuxième fois au CES sa serrure connectée. Et cette année, il arrive avec un atout en poche : il a décroché le prestigieux Innovation Award décerné par le Salon. Il a conçu Havr il y a deux ans avec Alexandre Ballet, 23 ans également, pendant leurs études à l’Université de Technologie de Compiègne. Appuyés par le serrurier Thirard, ils ont pu se mettre au travail avec un million d’euros en caisse : « Il existe déjà des serrures qui s’ouvrent à distance [via le wi-fi ou le Bluetooth, NDLR], mais on peut les pirater facilement. Notre solution garantit la sécurité totale : nous utilisons le Li-Fi, une norme dont se servent les militaires britanniques. Ce sont les vibrations cryptées de la lumière LED de votre smartphone qui transmettent l’ordre d’ouverture à la porte. » Le système, vendu 400 euros, pourra se substituer à la clé physique. Mais celle-ci restant quand même assez pratique, il ne la supprimera pas forcément : il la complétera, et permettra d’adapter nos logements aux nouveaux modes de vie. Nous pourrons ouvrir à distance à un livreur, un plombier ou un locataire occasionnel sans avoir à laisser notre clé sous le paillasson : ils utiliseront l’application gratuite sur leur smartphone, avec notre permission temporaire. La solution est également adaptée aux salles de réunion ou aux voitures qu’on met en location entre particuliers.
LEDGER LES BITCOINS EN SÉCURITÉ
L’explosion de la bulle du bitcoin, dont le cours s’est e ondré en 2018, ne leur a pas fait peur. Ledger, spécialiste de la protection des cryptomonnaies, s’est o ert un immense stand à Las Vegas : 300 mètres carrés, qui seront animés par 25 des 200 salariés de l’entreprise. « C’est comme si on se payait un spot de pub pendant la finale de la Coupe du Monde de Football ! » résume Eric Larchevêque. Le cofondateur et président de Ledger veut mettre sur orbite sa nouvelle création : la Nano X. Un « co re-fort » portable et sans fil, destiné à imposer Ledger sur le marché
asiatique. Les autres continents, Ledger les séduit déjà avec la première Nano pour PC. Ce mini-ordinateur crée un code secret di érent chaque fois que l’on accède à son compte en bitcoins, ce qui bloque les e ractions, courantes dans cet univers fréquenté par les hackers – l’équivalent de 2,3 millions d’euros serait volé chaque jour, selon Ledger. La Nano s’est vendue – à 99 euros pièce – à 1,5 million d’exemplaires dans 165 pays : « Nous sommes, de loin, le numéro un mondial du secteur, qui va encore grandir : seulement 2 millions des 30 à 100 millions de comptes bitcoins sont sécurisés », dit l’entrepreneur. Il profitera aussi du CES pour s’établir comme l’un des rois mondiaux de la blockchain, la technologie sur laquelle reposent les cryptomonnaies, et les « contrats intelligents » (des protocoles informatiques permettant l’exécution automatique d’engagements) dont les entreprises sont friandes. Sa start-up est richement dotée : elle a levé 60 millions d’euros il y a dix-huit mois, de quoi s’imposer sur ce marché.
SNIPS LA VIE PRIVÉE PRÉSERVÉE
Est-ce l’année du grand décollage commercial pour Snips, l’une des start-up françaises les plus renommées dans les cercles de l’IA, l’intelligence artificielle? Sa technologie vient de recevoir le prix du CES Best of Innovation dans la catégorie « technologie embarquée ». Son fondateur Rand Hindi a été visionnaire quand il a fait le pari, avant les scandales Facebook, que le respect de la vie privée serait au coeur de nos choix de consommateurs. Ses chercheurs ont mis au point une méthode de reconnaissance vocale : elle permet de décrypter la voix directement dans nos machines, sans qu’elles aient besoin de se connecter à de gros serveurs informatiques pour comprendre nos ordres. Avec les processeurs de Snips, les données ne partent donc plus dans les clouds de Google, Apple, Amazon ou Microsoft (via Home, Siri, Alexa et Cortana) pour être analysées. C’est la garantie qu’aucune de nos demandes n’arrivera à des oreilles indiscrètes ou à des publicitaires. Et les fabricants qui adopteront cette technologie ne seront plus dépendants des grandes plateformes américaines. Sur le stand de Las Vegas, on pourra tester les nouvelles fonctions qui permettent de diriger, à la voix, l’électroménager, la machine à café, la musique, les lumières ou le chau age de l’appartement.
APP ELLES LA SÉCURITÉ POUR LES FEMMES
Sélectionnée par Business France, l’association Resonantes (nantaise comme son nom l’indique) oeuvre à faire reculer les violences faites aux femmes. Réalisé en partenariat avec plusieurs start-up ainsi que Capgemini, son projet App-Elles (www.appelles.fr) a été lancé fin 2015 par l’artiste et militante Diariata N’Diaye. Cette application est gratuite et disponible sous Android – une version pour iPhone est prévue en milieu d’année. Elle s’adresse aux victimes et aux témoins de telles violences et réunit trois fonctions : alerter ses proches, amis ou tout interlocuteur de son choix ; contacter les secours et associations dédiées ; s’informer sur les aides et les ressources, au niveau local comme national. En cas d’alerte, trois contacts choisis par l’utilisatrice peuvent recevoir la position GPS et entendre via le micro du mobile. La position et le son, enregistrés, pourront servir ensuite pour une enquête sociale ou judiciaire. L’appli permet d’appeler le 112 ou le 114 et de déclencher un tchat avec la police. Resonantes a aussi conçu un bracelet d’alerte, plus discret que le smartphone en cas d’urgence : déclenché, il active le GPS et le micro du téléphone. La société Need, coréalisatrice du bracelet, en assure la distribution.
AVEINE LE VIN MAGNIFIÉ
Ah, cette bouteille de bordeaux qui attendait la grande occasion depuis des années… et le bon moment pour l’ouvrir, ce sera dans 10 minutes ! Pas le temps d’attendre : comment l’aérer pour qu’elle révèle toute sa subtilité? Nicolas Naigeon, fils de viticulteur et ingénieur, a résolu le problème en concevant un aérateur intelligent : vous scannez l’étiquette avec son Aveine, un accessoire que vous placez ensuite sur le goulot, et ça su t : il reconnaîtra le breuvage grâce à sa banque de données de 10000 vins et en quelques secondes, il injectera la quantité d’air nécessaire, en fonction du breuvage. S’il ne connaît pas le vin, son algorithme fera une estimation en fonction de sa provenance et de son cépage. Plus besoin d’attendre des heures la bonne aération. « C’est un gain de temps énorme pour les restaurants : les sommeliers pourront servir n’importe quelle bouteille de leur cave, même les plus rares, à leur meilleur niveau », explique Orna Bembaron, la directrice commerciale. Assemblé en France, l’Aveine, qui a été financé avec l’aide de la BPI (Banque publique d’Investissement), sera vendu 199 euros. Ce prix limitera sa cible aux professionnels et aux amateurs exigeants, mais si le succès commercial est au rendez-vous, Nicolas Naigeon développera toute une gamme de produits intelligents autour du vin.
Y BRUSH LE BROSSAGE DE DENTS ÉCLAIR
La petite brosse à dents, c’est fini. Voilà un grand Y que nous devrons enfoncer dans notre bouche. Il promet de nous laver e cacement en 10 secondes seulement, grâce à ses poils en Nylon qui vibrent. Les start-up françaises se passionnent pour le brossage intelligent : la société Kolibree avait reçu en 2017 un prix du CES pour ses innovations et ses modèles ont été adoptés depuis par le géant Colgate ou par les magasins Apple. Les concepteurs de Y-Brush vont encore plus loin : « Il faudrait se brosser les dents deux minutes, deux fois par jour ; mais la durée réelle ne dépasse pas 45 secondes. Alors, nous avons travaillé pendant trois ans pour mettre au point un brossage ultrarapide », explique le PDG, Benjamin Cohen, qui garantit un brossage de 5 secondes pour chaque dent. D’autres brosses connectées ont
déjà adopté la forme du Y, mais « elles sont faites avec des rouleaux en silicone, qui nettoient moins e cacement que le Nylon ». La société, qui a investi 500000 euros dans l’aventure, vend son appareil pour 110 euros. Elle compte d’abord séduire les collectivités, comme les hôpitaux et maisons de retraite où le personnel soignant n’a souvent pas le temps de s’occuper convenablement les dents des personnes âgées ou invalides.
COSMO CONNECTED LE CASQUE QUI ALERTE
Créée en 2015, la start-up Cosmo Connected revient pour la troisième année au CES. En 2017, elle avait présenté un feu amovible, à installer sur l’arrière d’un casque de moto, qui s’allumait pour signaler tout freinage. Vendu depuis à 31 000 exemplaires, ce boîtier connecté peut aussi prévenir les proches, voire appeler les secours en cas de détection d’une chute. En 2018, elle avait imaginé un feu stop à installer à l’arrière des casques de vélo ou sous la selle, auquel a été ajoutée une fonction « clignotant ». Cette année, Cosmo Connected présente son propre casque connecté pour vélo, trottinette électrique ou gyropode, avec des fonctions analogues au boîtier pour moto. Il sera commercialisé en avril. Autre nouveauté : un casque connecté pour le ski, qui permet d’être visible en cas de « jour blanc ». Il indique à tout moment à des proches où vous vous trouvez et il est équipé d’un bouton SOS. « Notre système est breveté dans 151 pays, explique Romain A elou (fils d’Alain), le président de Cosmo Connected, qui compte 15 salariés. L’une de nos grandes ambitions de 2019 est de s’imposer sur le marché américain. »
ATAWEY L’HYDROGÈNE VERT
Pour prendre le relais de la voiture à moteur thermique, beaucoup misent sur le véhicule électrique à batterie. D’autres tablent, à plus long terme, sur l’hydrogène transformé en électricité par une pile à combustible. Problème, si l’hydrogène est l’élément le plus présent dans l’univers, il est aujourd’hui presque intégralement produit à partir de méthane (CH4),en émettant de fortes quantités de CO2. La start-up savoyarde Atawey, créée en 2012, conçoit et produit de petites stations qui fabriquent de l’hydrogène « vert ». Comment ? En cassant une molécule d’eau (H2O) pour isoler le dihydrogène (H2), qui est ensuite stocké. Il peut ensuite alimenter une petite flotte de véhicules : jusqu’à 50 voitures par unité. « Depuis 2016, nous avons vendu 15 stations à hydrogène en France, principalement à des collectivités », explique-t-on chez Atawey, qui emploie 15 personnes et a réalisé l’an dernier environ 1,5 million d’euros de chi re d’a aires. La société mise sur sa présence au CES de Las Vegas pour se faire connaître aux Etats-Unis : la moitié des 10000 voitures qui roulent aujourd’hui à l’hydrogène dans le monde se trouve en Californie.
CARFIT L’AUTO SOUS SURVEILLANCE
Le « prédictif » est une nouvelle lame de fond dans l’industrie : grâce à l’intelligence artificielle, on peut prédire l’usure d’une machine. Il coûte bien moins cher de changer une pièce avant qu’elle ne se casse et ne stoppe toute la chaîne de production. La méthode se développe dans des domaines plus grand public. Le Français Henri-Nicolas Olivier et l’Américain Peter Hauser ont développé avec Carfit un algorithme et un boîtier spécifique pour « analyser les vibrations du train roulant de votre voiture. Les capteurs sur le moteur peuvent notamment déceler les problèmes de parallélisme, qui usent les pneus de façon précoce », explique Pierre Garrigues, responsable des partenariats. Cette solution intéresse des chaînes de réparation automobile, comme Norauto, mais également les industriels : le groupe Jaguar Land Rover a été l’un des premiers investisseurs dans Carfit, créée dans la Silicon Valley il y a deux ans avant de revenir établir sa recherche à Saclay, près de Paris (il intégrera sa solution dans ses nouveaux modèles). La société, qui a levé 4,5 millions d’euros, présente au CES un nouveau boîtier doté d’une carte sim pour
envoyer messages et notifications sur votre smartphone en cas de problème potentiel, voire pour prendre rendez-vous automatiquement chez le réparateur. « Nous espérons aussi nouer des collaborations avec d’autres fabricants de capteurs, et rencontrer de nouveaux investisseurs : le CES est en train de devenir un grand Salon de l’Automobile depuis que les voitures deviennent des objets connectés », ajoute Pierre Garrigues.
FAURECIA LA VOITURE AUTONOME
Le CES n’est pas seulement l’apanage des start-up. Le Salon est aussi un point de passage obligé pour bon nombre d’entreprises vénérables, soucieuses d’apparaître innovantes, comme La Poste ou Engie. C’est le cas de l’équipementier automobile Faurecia (17 milliards d’euros de chi re d’a aires, 109000 salariés). Le groupe français va présenter une nouvelle version de ce qu’il pense être le « cockpit du futur », à l’intérieur d’une Volvo XC 90. Le véhicule, via la reconnaissance faciale, reconnaît le conducteur et ses passagers, ajuste les sièges en fonction de leur morphologie et l’environnement sonore ou lumineux en fonction de leurs goûts. Une fois la conduite autonome activée, le volant va venir se ranger dans le tableau de bord. Puis trois types d’usages sont proposés : un mode individualisé, où les sièges de chacun des quatre occupants de la voiture vont se déplacer pour être décalés les uns par rapport aux autres, créant quatre « bulles », et permettant ainsi à l’un de passer un coup de fil sans que les autres ne l’entendent grâce à des enceintes dans l’appui-tête ; un mode « relaxation », où les sièges s’inclinent et peuvent masser; et enfin un mode « home cinéma », où les sièges de l’avant pivotent de 15 degrés pour que chacun des passagers, y compris ceux de l’arrière, voie parfaitement l’écran de 32 pouces qui sort de la planche de bord.