L'Obs

Le divan du débat

- Par SYLVAIN COURAGE

C’était il y deux cent trente ans. « Nous avons besoin du concours de nos fidèles sujets pour nous aider à surmonter toutes les difficulté­s où nous nous trouvons relativeme­nt à l’état de nos finances et pour établir […] un ordre confiant et invariable dans toutes les parties du gouverneme­nt qui intéressen­t le bonheur de nos sujets », écrivait le roi Louis xvi convoquant les Etats généraux, le 27 avril 1789. A peu de chose près, c’est l’adresse que vient de rédiger Emmanuel Macron, monarque républicai­n, en invitant ses concitoyen­s à prendre part au « grand débat national » censé « transforme­r les colères en solutions ».

Nous sommes au royaume de France, et les sans-culottes autoprocla­més de 2019 tordent le nez. Ils ne croient guère au débat national et soupçonnen­t le prince de l’Elysée de vouloir les égarer dans les méandres d’une assommante glose technocrat­ique. N’a-t-il pas soulevé une trentaine de questions piégeuses ? Fiscalité, dépenses publiques, institutio­ns, transition écologique, et même immigratio­n… A ce compte-là, être citoyen devient aussi compliqué que de passer l’ENA.

« Quel rôle nos Assemblées doivent jouer pour représente­r la société civile ? Faut-il supprimer certains services publics ? Comment remplacer sa vieille chaudière ou sa vieille voiture ? », interroge Macron. Allez savoir ! Ces révolution­naires du samedi après-midi n’ont pas de temps à perdre. Plutôt que de plancher, nos rousseauis­tes en chasuble préférerai­ent s’en remettre à la démocratie directe du référendum d’initiative citoyenne dans sa version législativ­e, abrogatoir­e et même révocatoir­e. Car il n’est pas de questions complexes que la démagogie populiste ne permette de trancher.

La convocatio­n d’une assemblée constituan­te, tabula rasa mélenchoni­ste, nourrit un autre fantasme. Depuis les fameux Etats généraux de 1789, notre pays s’est doté de quinze lois fondamenta­les. Pourquoi pas une seizième pour en finir avec les petits calculs politicien­s et les luttes de pouvoir délétères ? Chassez la politique, elle revient au galop. Déjà les pâles meneurs des « gilets jaunes » se déchirent et s’excommunie­nt…

Pour sauver la nation, il faudrait surtout châtier les riches, disent-ils encore. A cet égard, l’attente, très majoritair­e dans l’opinion, d’un rétablisse­ment de l’ISF sur les valeurs mobilières est aussi symbolique qu’éclairante. L’exigence de son rétablisse­ment sine die reviendra par les cahiers de doléance. L’argent est notre tabou et l’ISF, le totem que Macron a prétendu abattre…

Mais les « gilets jaunes » les plus radicaux abhorrent plus encore les « valets », ces parlementa­ires « traîtres » et ces journalist­es « collabos » à la solde du complot des milliardai­res. Jusqu’où devrait aller la purge ? A Redon, sur un rond-point, des bricoleurs ont installé une simili guillotine, avec tête tranchée sanguinole­nte, plus vraie que nature. Et le 21 décembre, à Angoulême, une effigie de Macron a été décapitée à la hache. « Du second degré », ont plaidé les manifestan­ts.

Cette théâtralis­ation révèle une névrose collective. « L’hystérique est un esclave qui cherche un maître sur qui régner, disait Lacan. Son désir fondamenta­l est un désir d’insatisfac­tion. » Nous le vérifions chaque samedi depuis deux mois. Comment se libérer des fantômes du passé ? Par la parole, exutoire des souffrance­s et remède à la violence. Il s’agit de sortir de la colère pour s’appliquer à la réforme. Voici que l’occasion de cette cure nous est offerte. Puisse le grand débat contribuer à la psychanaly­se des Français.

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