L'Obs

Viggo Mortensen, on the road again

Pour jouer le chauffeur d’un pianiste noir dans “GREEN BOOK”, Viggo Mortensen a pris 25 kilos. Rencontre avec un acteur qui est aussi POÈTE et SLAMEUR

- Par FRANÇOIS FORESTIER

GREEN BOOK. SUR LES ROUTES DU SUD, par Peter Farrelly, en salles le 23 janvier.

Il n’est pas tout à fait bourgeois, pas tout à fait bohème, un peu poète, très photograph­e et… acteur. Parfois, il peint. Ou enregistre des chansons. Son meilleur ami est un guitariste japonais qui s’exhibe coiffé d’un seau Kentucky Fried Chicken, et Viggo Mortensen ne donne des interviews qu’à condition d’être pieds nus. C’est dire s’il est un peu perché. Blond, amical, le regard doux et les mains soignées, il regorge de bons sentiments devant son thé vert, médite sur les fins dernières, cite Kant, et jamais on ne l’imaginerai­t en gros bras rital adepte du coup de boule dans le pif. Pourtant, dans « Green Book. Sur les routes du Sud », le film très réussi de Peter Farrelly, il joue Tony « Lip » Vallelonga, un OS de la Mafia, videur de boîte de nuit, belluaire du Queens, réduit à faire le chauffeur pour un pianiste de concert, Don Shirley, un « bamboula » (en anglais : eggplant, terme très péjoratif pour qualifier un AfroAméric­ain). Nous sommes en 1962, et l’idée de faire une tournée dans le Deep South des Etats-Unis est un tantinet risquée. « Ces deux gars-là, c’est comme l’eau et l’huile, ils ne se mélangent pas. D’où la tension… et le fun », dit Viggo Mortensen, en piste pour un oscar du meilleur acteur.

Voilà plus de trente ans qu’il baguenaude sur les plateaux de cinéma et les scènes de théâtre. Il joue en anglais, en italien, en espagnol, en norvégien. Il est capable de tout, l’animal. Né en 1958, il a passé son enfance au Venezuela, son adolescenc­e en Argentine, sa jeunesse en Angleterre et a abouti chez les artistes à Los Angeles. « C’était l’aventure », dit-il avec un sourire qui souligne le bel émail clair de ses yeux. Il a désormais perdu les 25 kilos engrangés pour le tournage de « Green Book », et se souvient avec émotion de ses débuts, jadis. « J’ai été l’acteur le plus coupé du monde », résume-t-il. En effet : dans « Swing Shift », de Jonathan Demme (1984), sa scène est coupée. Dans « la Rose pourpre du Caire », de Woody Allen (1985), il est éliminé au montage. Dans « Witness », de Peter Weir (1985), il ne reste que quelques secondes. C’est « le Seigneur des anneaux » qui l’a fait star : « Je ne savais pas qui était Aragorn, mon personnage. Mon fils, qui avait 11 ans, m’a dit : “C’est cool, papa.” »

Désormais cool, il est demandé partout. Père vagabond dans « la Route », Dr Freud dans « A Dangerous Method », spadassin dans « Capitaine Alatriste », chauffeur russe dans « les Promesses de l’ombre », il reste nomade dans l’âme. Il écrit des « Canciones », poèmes espagnols, sur une table à Vancouver, compose du slam au Mexique, reçoit un prix pour son travail d’acteur à Sarlat, se livre à des collages à Reykjavik, fait des photos à Cadix, prête sa voix à un documentai­re de Montréal. Et, précise-t-il, « j’écris en avion, au lit, dans la baignoire. Mon petit carnet ne me quitte jamais ». Même en Patagonie, au bout du bout du monde, frigorifié par le vent du Horn, il jette des pensées poétiques sur la page : « Ne laissons pas les mots s’enfuir dans les nuages », « Vivre est un art quotidien », « Il y a un trou dans le soleil »…

Il aurait pu être prince-abbé, saint vénérable, hippie voltigeur ou ordonnateu­r de marchés d’antiquaill­es : « Je vais où le vent me pousse », dit-il. A 60 ans, cet écologiste, soutien de Bernie Sanders aux dernières élections, réussit, dans « Green Book », à faire aimer son personnage de bourrin raciste, qui doit défendre – souvent de façon très drôle – son client contre les abrutis du Tennessee et du Mississipp­i, tout en mangeant des pilons de poulet au volant de sa Cadillac DeVille couleur turquoise. A la fin du film, pour Noël, tout le monde partage la dinde, dans un esprit pacifique, après de rudes combats. « Se battre pour la paix, au fond, c’est comme faire l’amour pour la chasteté », note Viggo Mortensen, en sirotant son thé vert Long Jing du Zhejiang.

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 ??  ?? Retrouvez tous les jeudis L’OBS dans La DISPUTE, produite par Arnaud Laporte de 19h à 20h sur France Culture.
Retrouvez tous les jeudis L’OBS dans La DISPUTE, produite par Arnaud Laporte de 19h à 20h sur France Culture.

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