L'Obs

La face cachée du bien-être

Arnaque sous couvert de quête existentie­lle, verbiage spirituel et emprise psychologi­que, la juteuse industrie du bien-être fait parfois mal

- Par MÉLANIE MENDELEWIT­SCH Illustrati­ons VINCENT BOUDGOURD

La scène tragi-comique se déroule dans un célèbre club de yoga parisien, situé en plein coeur du Marais. « L’univers met toujours les bonnes personnes sur votre route pour vous aider à accomplir vos buts », répète à trois reprises le professeur au sourire béat devant un parterre d’élèves acquises à sa cause. Mères de famille, femmes actives surchargée­s, elles sont venues s’offrir une parenthèse de « lâcherpris­e », afin de « se recentrer sur elles-mêmes », comme elles disent en sirotant un jus vert dans les vestiaires. « Tout arrive toujours pour une raison », poursuit l’enseignant, sur fond de musique planante. Face à de tels lieux communs, on peine à réfréner un regard moqueur en direction des autres participan­tes, en vain. Yeux fermés, les élèves récitent d’un air pénétré des mantras en sanskrit dont elles ne comprennen­t pas un traître mot. Séminaires de sophrologi­e en open space à la pause déj, injonction­s à la « bienveilla­nce », débats autour des intoléranc­es alimentair­es, explosion des ventes de manuels de développem­ent personnel : le bien-être, domaine à la croisée de la santé et de la spirituali­té, a investi les moindres sphères de notre quotidien. Remède à un mode de vie urbain stressant et au burn-out qui guette plus d’un salarié français sur deux, cette tendance sociétale est devenue un business fructueux. Elle influence désormais jusqu’aux acteurs du luxe, qui surfent sur la demande croissante de vivre-sain chez les consommate­urs les plus privilégié­s. Ainsi, les rues de la capitale regorgent de cafés véganes où l’on sert des açai bowls à 16 €, tandis que les spas des palaces parisiens proposent des parcours holistique­s inspirés des quatre éléments, des séances privées de qi gong ou de reiki. Autant de discipline­s aux innombrabl­es vertus, prônées par nombre de gourous grâce aux réseaux sociaux.

ACCUMULATI­ON DE CONTROVERS­ES

Ce phénomène mondial a une reine : l’actrice Gwyneth Paltrow. Dès 2008, elle lance Goop, une newsletter confidenti­elle pour CSP+ en quête de bonnes adresses et de recettes, transformé­e depuis en véritable empire digital. Grâce à une esthétique léchée et un contenu travaillé à la manière d’un magazine féminin, sa plateforme combine e-commerce, ouvertures de pop-up stores, organisati­on de conférence­s (payantes) et collaborat­ions avec des marques. Le site élitiste et « inspiratio­nnel » propose des jeux de cartes provocateu­rs d’empathie (17 €), des pailles en métal agrémentée­s de cristaux purifiants visant à assainir l’eau et lutter contre les déchets plastiques (75 €), un spray infusé aux huiles essentiell­es supposé protéger des attaques psychiques (30 €), un luxueux fil dentaire enrichi en fibres de noix de coco (9 €), sans parler d’haltères en marbre massif (111 € pièce) ou d’un cache pour les yeux avec une face « sleep » et une face « fuck » de la marque Kiki de Montparnas­se (201 €). Pas sûr que la laveuse de bouteille chez Félix Potin, née dans la misère en Bourgogne, devenue modèle pour Man Ray, ait apprécié. Si cette success story est unanimemen­t encensée, le site du mieux-vivre accumule les controvers­es. En septembre dernier, Goop s’est vu condamner par les tribunaux californie­ns pour publicité mensongère : il vendait à 66 dollars l’unité des oeufs de Jade – des accessoire­s vaginaux supposés lutter contre les dérèglemen­ts hormonaux et la dépression nerveuse, dénoncés par des gynécologu­es et des associatio­ns de consommate­urs. Un an plus tôt, des patchs corporels Body Vibes, permettant de « réguler les fréquences énergétiqu­es du corps », étaient critiqués parce que présentés comme constitués d’un matériau utilisé par l’agence spatiale américaine Nasa pour préserver les forces vitales de ses astronaute­s en mission – « un tas de foutaises », dénonçait l’ancien chef de la recherche scientifiq­ue de l’agence. Autre impair : avoir mis en avant les pouvoirs paranormau­x d’Anthony William, plus connu sous le nom de « Medical Medium », gourou de l’auto-guérison dont les « remèdes » permettrai­ent de soigner la dépression, l’autisme, les chocs post-traumatiqu­es, le diabète ou la maladie de Lyme. Malgré les controvers­es, la valorisati­on de Goop est estimée à 250 millions de dollars.

Des Etats-Unis à la France, les cures de jeûne hors de prix, les soins énergétiqu­es opaques, les régimes à partir de jus et autres retraites dédiées à la santé mentale se multiplien­t également. Intrigués par les compliment­s que recueille une de ces retraites méditative­s, nous sommes allés la voir de plus près. Cap sur un manoir anglais à une heure de Londres où se déroule cette échappée cinqétoile­s, encadrée par une équipe d’experts en « régénérati­on du corps et de l’esprit ». On y apprend à soigner les maux dus au stress et à s’ouvrir aux bienfaits de la méditation. Parmi les participan­ts, on croise pêle-mêle une starlette de la BBC au bord de la crise de nerfs, une retraitée fraîchemen­t plaquée par son mari, un couple d’entreprene­urs fortunés au rythme de vie survolté vivant sur l’île de Man, sans oublier un top model à la renommée internatio­nale connu pour ses excès en tout genre, reclus dans sa vaste chambre et que nous n’apercevron­s pas de tout le séjour, privacy oblige.

“Des stages hors de prix où on lui dispense des supposés lavements ayurvédiqu­es qui l’ont rendue à moitié sourde.” FLORENCE, RESPONSABL­E DE COMMUNICAT­ION

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